Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/373

Cette page a été validée par deux contributeurs.
369
DE L’ÉMANCIPATION DANS NOS COLONIES.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

nérosité et de pitié, on ne peut pas supposer qu’il soit inaccessible à la voix de son intérêt privé. Or, cet intérêt privé lui dit que sa fortune est attachée à la santé de ses esclaves ; que, s’il les blesse, ils ne travailleront pas, et que, de plus, il sera forcé de les nourrir comme à l’ordinaire, puis de payer les soins du médecin et la dépense des remèdes. À part toute idée noble et humaine, qui naît dans le cœur d’un colon tout aussi bien que dans le nôtre, il y a donc de plus l’intérêt de la prospérité privée qui bride sa colère, qui désarme sa justice, et qui épargne au nègre une foule de punitions que notre loi civilisée ne nous épargne pas.

Voilà dans toute sa réalité la situation matérielle des esclaves aux colonies françaises. Ajoutons qu’elle est subordonnée quelque part à la situation des maîtres, et que ceux-ci sont poussés ou arrêtés dans les améliorations, selon la bonne ou la mauvaise fortune ; la case reçoit toujours le contre-coup de l’habitation. Quand l’année est productive et la vente des denrées avantageuse, le régime général des esclaves s’améliore ; non pas qu’ils éprouvent jamais les rigueurs du besoin, en aucun cas ; mais ils participent à mille douceurs que l’augmentation du revenu rend possibles. Un relevé fait avec beaucoup de soin à la douane de Bourbon, porte à 3,500,000 fr., année commune, la valeur des objets d’importation, servant à peu près exclusivement au vêtement et au supplément de nourriture des noirs, dont l’alimentation générale est fournie par l’île même. Encore faut-il dire que cette valeur est celle déclarée à la douane, sans aucune imputation des droits et du fret, ce qui augmente d’un cinquième au moins le prix de revente pour les habitans. Ces états de douane fournissent la preuve qu’il a été fait, et qu’il se fait une grande consommation de couvertures de laine et de coton, à l’usage des noirs, pour les infirmeries et les habitations pluvieuses ou situées dans les hauts ; fourniture dont aucune ordonnance ni aucun règlement n’a jamais fait une obligation aux colons. Nous trouvons pareillement, dans des états officiels fournis par le conseil colonial de la Martinique, que la colonie a reçu, dans l’année 1834, pour 1,827,716 francs de morue qui lui a été fournie par les pêcheurs français, sans compter celle qui lui est venue des pêcheries étrangères, et qui monte dans la même année à 524,693 fr. Voilà donc une dépense annuelle de 2,352,409 fr., représentant 4,047,395 kilogrammes de morue, exclusivement destinés à la nourriture des esclaves dans une seule de nos colonies.

C’est dans cet état de choses que les journaux de France, et, il faut bien le dire, l’esprit public, ont demandé la réorganisation intérieure des colonies, et l’émancipation des esclaves. Pour nous, qui sommes fa-