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DE L’ÉMANCIPATION DANS NOS COLONIES.

qu’on ne devrait pas cependant oublier en pareille circonstance : c’était de donner des détails. Il faisait porter ainsi le poids d’une accusation si odieuse sur la population blanche d’une petite île, sans daigner dire en quelle année, sur quelle personne, dans quelle circonstance un pareil crime avait été commis. Cependant M. de Montrol est, à ce que nous croyons, membre de la société française d’émancipation. Si c’est sur de pareils documens que cette société bâtit ses théories, elle ne peut pas manquer d’arriver à de bien beaux résultats. M. Isambert ne s’est pas non plus fait faute d’accusations amères, sans prendre la peine d’en vérifier la valeur. Ou n’a pas oublié cette célèbre négresse fouettée au sang pour avoir chanté la Parisienne, pas plus que cette disposition du code noir, qui ordonne de couper le jarret à l’esclave fugitif en récidive. Pour ce qui touche la négresse, elle avait été arrêtée, à l’époque de la révolte du Cerbet, à la tête d’une bande de noirs armés, chantant en effet la Parisienne, avec cette petite variante : En avant, marchons, brûlons les colons ; après quoi, les habitations des colons furent réellement brûlées. La disposition du code noir citée se trouve en effet dans les ordonnances de Louis xiv, de même que la question se trouve dans la procédure criminelle de l’ancien Châtelet ; mais cela prouve-t-il que l’on coupe le jarret aux noirs ? N’avons-nous pas vu, en 1830, en France, rétablir une vieille ordonnance qui enjoignait aux médecins de dénoncer les malades blessés pendant les journées de juin ? Cela veut-il dire que l’ordonnance ait été exécutée ? Lorsque la législation d’un pays est faite de pièces de rapport, de dispositions diverses et successives, comme aux colonies, ne faut-il pas voir, avant d’en parler avec assurance, si la disposition qu’on blâme est actuellement en vigueur, et même si elle a jamais été appliquée ? Malheureusement il paraît que même les hommes de position grave n’en jugent pas ainsi ; ils se récrient contre la peine du fouet appliquée à une femme, pour avoir chanté la Parisienne ! Quoi de plus innocent que de chanter la Parisienne ? La-dessus l’esprit public s’enflamme ; les questions sont prises de travers, hélas ! et résolues de même.

Pour ceci, comme pour tout ce que nous avons dit, ou que nous dirons encore des colonies, nous sommes allés aux faits. Nous avons sous les yeux un état officiel et très méthodiquement détaillé de toutes les condamnations criminelles et correctionnelles prononcées à l’île Bourbon contre des esclaves, depuis l’année 1828 jusqu’à l’année 1833 inclusivement. Cet état a été fourni par M. le procureur-général de la cour royale de l’île, au mois de juin 1834. Nous avons été frappés, en général, de la douceur excessive des peines, comparée à la répression qui a lieu