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même de notre marine et de notre agriculture rend si importantes, et que les instigations exagérées de certains organes de la presse française rendent si difficiles et si brûlantes. Ce n’est guère que par des blancs ou par des hommes de couleur que nous sommes instruits en France de ce qui se passe aux Antilles ou aux îles de la mer des Indes, et sans vouloir rien préjuger de la sincérité et de l’exactitude de ces deux sortes de témoignages si opposés, la modération est un procédé nécessaire dans la discussion, et même imposé par la divergence qui existe entre nous. D’ailleurs, en tout état de cause, et quelles que soient l’étendue et la vérité de nos renseignemens coloniaux, ce ne peut jamais être un mal de les étudier avec calme et avec défiance de nous-mêmes ; peut-être y gagnerons-nous de faire priser la dignité et la bonne foi à ceux qui sont ou acteurs, ou instigateurs de ces malheureuses luttes dont nos colonies sont devenues le théâtre.

D’après les documens réputés les plus exacts, la population esclave de nos colonies, soit aux Antilles, soit à la mer des Indes, monte environ à 270,000 individus. Dans la statistique de Bourbon, dressée en 1832 par le directeur de l’intérieur, nous trouvons que le chiffre des personnes libres s’élève à 27,247, et celui des esclaves à 70,458. Un fait qui nous a paru remarquable, c’est que les femmes esclaves ne s’élèvent qu’à 24,292, à peu près une femme pour deux hommes, et que néanmoins, malgré cette disproportion de sexes, il y a eu dans l’année 1,563 enfans. Bien plus, la même statistique fait connaître que sur ces 70,458 esclaves, il y a 3,142 individus qui ont passé l’âge de soixante ans. Nous avons rapproché ainsi ces deux faits, pour arriver à conclure qu’une population où il y a de pareils exemples de reproduction et de longévité ne peut pas être bien malheureuse.

Nous devons ajouter que nos colonies se trouvent néanmoins dans une situation défavorable si on les compare à de celles de l’Angleterre. Dans les colonies anglaises, la traite est réellement abolie depuis trente ans. Leurs esclaves se composent donc entièrement ou d’individus créoles, c’est-à-dire nés sur les habitations, et faits par conséquent aux habitudes du travail journalier et aux exigences de la discipline coloniale, ou d’individus séparés depuis trente ans de la vie sauvage du désert. Dans nos colonies, au contraire, la traite n’a été effectivement abolie qu’en 1830 ; d’un côté, les importations successives de noirs qui s’y sont faites, ont empêché l’augmentation réelle de la population esclave de s’y faire sentir d’une manière sensible, à cause des maladies auxquelles les nègres de traite étaient fréquemment sujets ; de l’autre, elles ont été un obstacle à l’adoucissement graduel de ces natures afri-