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REVUE DES DEUX MONDES.

Ce qu’André Chénier avait exprimé sous une forme morale et philosophique, M. Hugo l’a revêtu d’une exacte et merveilleuse image. Il a figuré, dans un moule qui ne s’oubliera plus, ce don divin du talent, avec tout ce qu’il y entre à la fois de grandeur, de tristesse et de misère.

Non loin de cette haute et sombre poésie, on rencontre une toute petite pièce de huit vers sur Anacréon, que je ne puis laisser passer sans remarque ; la voici ;


Anacréon, poète aux ondes érotiques,
Qui filtres du sommet des sagesses antiques,
Et qu’on trouve à mi-côte alors qu’on y gravit,
Clair, à l’ombre, épandu sur l’herbe qui revit,
Tu me plais, doux poète au flot calme et limpide !
Quand le sentier, qui monte aux cimes, est rapide,
Bien souvent, fatigués du soleil, nous aimons
Boire au petit ruisseau tamisé par les monts.


Rien de plus joliment tourné que ces huit vers, rien de plus inintelligent d’Anacréon, malgré l’apparente louange. Si ce n’était qu’une épigramme par boutade, nous n’y insisterions pas ; mais bien des défauts et des caractères marquans de M. Hugo ont leur origine dans le sentiment qui a dicté ces huit vers. Il semble que M. Hugo qui, dans le présent volume, a rimé de charmans messages de la Rose au Papillon, devrait mieux juger le maître antique. Non, Anacréon n’est pas un petit ruisseau tamisé par les monts ; c’est bien un ruisseau sacré, nunc ad aquæ lene caput sacræ ! Anacréon n’est pas à mi-côte ; il a, lui seul, toute sa colline. Mais c’est qu’il y a un genre de beautés que M. Hugo apprécie peu et qu’il heurte volontiers dans sa manière ; il se soucie médiocrement, j’imagine, de l’aimable simplicité des Grecs, de ce qu’eux-mêmes appelaient apheleia, mot que le poète Gray a traduit quelque part heureusement par tenuem illum Græcorum spiritum, qualité délicate et transparente qui décore chez eux depuis l’ode à la Cigale d’Anacréon jusqu’aux chastes douleurs de leur Antigone. M. Hugo, loin d’avoir en rien l’organisation grecque, est plutôt comme un Franc énergique et subtil, devenu vite habile et passé maître aux richesses latines de la décadence, un Goth revenu d’Espagne, qui s’est fait