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de lui, et l’étude attentive que j’avais voulu faire de son caractère fut brusquement arrêtée. Je reçus un matin l’ordre de partir sur-le-champ pour le camp de Boulogne, et à mon arrivée, l’ordre de m’embarquer sur un des bateaux plats que l’on essayait en mer.

Je partis avec moins de peine que je ne m’y fusse attendu, si l’on m’eût annoncé ce voyage avant la scène de Fontainebleau. Je respirai en m’éloignant de ce vieux château et de sa forêt, et à ce soulagement involontaire je sentis que mon séidisme était mordu au cœur. Je fus attristé d’abord de cette première découverte, et je tremblais pour l’éblouissante illusion qui faisait pour moi un devoir de mon dévouement aveugle. Le grand égoïste s’était montré à nu devant moi ; mais à mesure que je m’éloignai de lui, je commençai à le contempler dans ses œuvres, et il reprit encore sur moi, par cette vue, une partie du magique ascendant par lequel il avait fasciné le monde. — Cependant ce fut plutôt l’idée gigantesque de la guerre qui désormais m’apparut, que celle de l’homme qui la représentait d’une si redoutable façon, et je sentis à cette grande vue un enivrement insensé redoubler en moi pour la gloire des combats, m’étourdissant sur le maître qui les ordonnait, et regardant avec orgueil le travail perpétuel des hommes qui ne me parurent tous que ses humbles ouvriers.

Le tableau était homérique en effet et bon à prendre des écoliers par l’étourdissement des actions multipliées. Quelque chose de faux s’y démêlait pourtant et se montrait vaguement à moi, mais sans netteté encore, et je sentais le besoin d’une vue meilleure que la mienne qui me fît découvrir le fond de tout cela. Je venais d’apprendre à mesurer le capitaine, il me fallait sonder la guerre. — Voici quel nouvel évènement me donna cette seconde leçon. Car j’ai reçu trois rudes enseignemens dans ma vie, et je vous les raconte après les avoir médités tous les jours. Leurs secousses me furent violentes, et la dernière acheva de renverser l’idole de mon ame.

L’apparente démonstration de conquête et de débarquement en Angleterre, l’évocation des souvenirs de Guillaume-le-Conquérant, la découverte du camp de César à Boulogne, le rassemblement subit de neuf cents bâtimens dans ce port, sous la protection d’une flotte de cinq cents voiles, toujours annoncée ; l’établissement des