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LE CAPITAINE RENAUD.

plications de mes actions après moi, pour m’agrandir si je réussis, et me rapetisser si je tombe. Les paradoxes sont là tout prêts, ils abondent en France. Je les fais taire de mon vivant, mais après il faudra voir. — N’importe, mon affaire est de réussir et je m’entends à cela. Je fais mon Iliade en action, moi, et tous les jours.

Ici il se leva avec une promptitude gaie et quelque chose d’alerte et de vivant ; il était naturel et vrai dans ce moment-là, il ne songeait point à se dessiner comme il fit depuis dans ses dialogues de Sainte-Hélène ; il ne songeait point à s’idéaliser et ne composait point son personnage de manière à réaliser les plus belles conceptions philosophiques ; il était lui, lui-même mis au dehors. — Il revint près du saint-père qui n’avait pas fait un mouvement, et marcha devant lui. Là s’enflammant, riant à moitié avec ironie, il débita ceci, à peu près, tout mêlé de trivial et de grandiose, selon son usage, en parlant avec une volubilité inconcevable, expression rapide de ce génie facile et prompt qui devinait tout à la fois, sans études. — La naissance est tout, dit-il ; ceux qui viennent au monde pauvres et nus sont toujours des désespérés. Cela tourne en action ou en suicide, selon le caractère des gens. Quand ils ont le courage, comme moi, de mettre la main à tout, ma foi ! ils font le diable. Que voulez-vous ? Il faut vivre. Il faut trouver sa place et faire son trou. Moi, j’ai fait le mien comme un boulet de canon. Tant pis pour ceux qui étaient devant moi. — Les uns se contentent de peu, les autres n’ont jamais assez. — Qu’y faire ? Chacun mange selon son appétit ; moi, j’avais grand’faim ! — Tenez, saint-père ; à Toulon, je n’avais pas de quoi acheter une paire d’épaulettes, et au lieu d’elles, j’avais une mère et je ne sais combien de frères sur les épaules. Tout cela est placé à présent, assez convenablement, j’espère. Joséphine m’avait épousé, comme par pitié, et nous allions la couronner à la barbe de Raguideau son notaire, qui disait que je n’avais que la cape et l’épée. Il n’avait, ma foi ! pas tort. — Manteau impérial, couronne, qu’est-ce que tout cela ? Est-ce à moi ? — Costume ! costume d’acteur ! Je vais l’endosser pour une heure et j’en aurai assez. Ensuite je reprendrai mon petit habit d’officier et je monterai à cheval. — Toujours à cheval ! toute la vie à cheval ! — Je ne serai pas assis un