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DON JUAN D’AUTRICHE.

en face de don Juan, d’un ennemi libre et qu’il avait enchaîné ; il ne pense pas à l’intervention de son père ; il épargne son ennemi et l’abandonne à Charles-Quint, quand il aurait pu se venger personnellement, et sans autre dépense qu’un signe de tête. Avouons que Philippe ii ainsi conçu est tout-à-fait neuf.

Charles-Quint, retiré dans le couvent de Saint-Just, partage son temps entre ses horloges et la conversation d’un jeune novice. Il s’amuse à écouter les caquets d’un enfant et oublie les guerres qu’il a conduites, le camp du Drap-d’Or, l’élection impériale de Trèves, pour le récit d’une cabale monastique. Il oublie Luther auquel il a tenu tête, et Léon x qu’il a protégé, pour tourner en ridicule les ambitions du cloître, et traiter son interlocuteur de moinillon. Il faut croire que Charles-Quint est bien changé depuis les guerres religieuses de l’Allemagne, qu’il a tout-à-fait dépouillé le vieil homme, qu’il ne recommencerait pas sa vie passée ; en un mot, qu’il a deviné l’Essai sur les Mœurs. Autrement, comment expliquer sa bonhomie railleuse qui se complaît dans la familiarité d’un enfant, et qui ne songe pas même à regarder la carte d’Europe, pour suivre du doigt le jeu des nations qu’il a remuées ? Comment comprendre, non pas l’abdication impériale, mais l’abdication intellectuelle du vainqueur de Pavie ? Quand il voit son fils, au lieu de lui rendre la liberté, en ordonnant que les portes soient ouvertes, il a recours à la ruse et se fait nommer abbé pour signer légitimement l’affranchissement du captif. Il entend sans émotion l’éloge de François Ier, il se console par un bon mot, et pour toute réponse à cet étrange panégyrique, sorti d’une bouche espagnole, il donne à don Juan l’épée du prisonnier de Madrid. Décidément, Charles-Quint est un sage accompli, détaché sans retour des vanités humaines. Pardonnons-lui de singer Jules-César, en dictant à la fois trois lettres pour son élection abbatiale : cette parodie est un péché véniel. Pardonnons-lui avec la même indulgence de violer pour lui-même les règlemens qu’il n’osait violer pour son fils, et de sortir du monastère après avoir résigné son nouveau titre, sans alléguer aucune excuse légitime pour cette singulière espièglerie ; j’espère que le nouvel abbé ne négligera pas de punir l’empereur. Pardonnons-lui surtout d’avoir oublié l’âge de don Juan et de parler à un garçon de douze ans comme à