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LE CHANDELIER.

JACQUELINE.

Pourquoi ? pourquoi ? vous n’en savez rien, et je n’y veux seulement pas penser. Non ; ce que j’ai à vous demander ne peut avoir de suite aussi grave, Dieu merci, c’est un rien, une bagatelle. Vous êtes un enfant, n’est-ce pas ? Vous me trouvez peut-être jolie, et vous m’adressez légèrement quelques paroles de galanterie. Je les prends ainsi, c’est tout simple ; tout homme à votre place en pourrait dire autant.

FORTUNIO.

Madame, je n’ai jamais menti. Il est bien vrai que je suis un enfant, et qu’on peut douter de mes paroles ; mais telles qu’elles sont, Dieu peut les juger.

JACQUELINE.

C’est bon ; vous savez votre rôle, et vous ne vous dédites pas. En voilà assez là-dessus ; prenez donc ce siége, et mettez-vous là.

FORTUNIO.

Je le ferai pour vous obéir.

JACQUELINE.

Pardonnez-moi une question qui pourra vous sembler étrange. Madeleine, ma femme-de-chambre, m’a dit que votre père était joaillier, il doit se trouver en rapport avec les marchands de la ville.

FORTUNIO.

Oui, madame ; je puis dire qu’il n’en est guère d’un peu considérable qui ne connaisse notre maison.

JACQUELINE.

Par conséquent, vous avez occasion d’aller et de venir dans le quartier marchand, et on connaît votre visage dans les boutiques de la Grand’ Rue.

FORTUNIO.

Oui, madame, pour vous servir.

JACQUELINE.

Une femme de mes amies a un mari avare et jaloux. Elle ne manque pas de fortune, mais elle ne peut en disposer. Ses plaisirs, ses goûts, sa parure, ses caprices, si vous voulez, quelle femme vit sans caprice ? tout est réglé et contrôlé. Ce n’est pas qu’au bout de l’année, elle ne se trouve en position de faire face à de grosses dépenses. Mais chaque mois, presque chaque semaine, il lui faut compter, disputer, calculer tout ce qu’elle achète. Vous comprenez que la morale, tous les sermons d’économie possibles, toutes les raisons des avares, ne font pas faute