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REVUE DES DEUX MONDES.

vais devenir ? Je le vois bien, vous avez résolu ma mort ; vous ferez de moi ce qui vous plaira ; vous êtes homme, et je suis femme ; la force est de votre côté. Je suis résignée ; je m’y attendais ; vous saisissez le premier prétexte pour justifier votre violence. Je n’ai plus qu’à partir d’ici ; je m’en irai avec ma fille, dans un couvent, dans un désert, s’il est possible ; j’y emporterai avec moi, j’y ensevelirai dans mon cœur le souvenir du temps qui n’est plus.

MAÎTRE ANDRÉ.

Ma femme, ma femme, pour l’amour de Dieu et des saints, est-ce que vous vous moquez de moi ?

JACQUELINE.

Ah ! ça, tout de bon, maître André, est-ce sérieux ce que vous dites ?

MAÎTRE ANDRÉ.

Si ce que je dis est sérieux ? Jour de Dieu ! la patience m’échappe, et je ne sais à quoi il tient que je ne vous mène en justice.

JACQUELINE.

Vous, en justice ?

MAÎTRE ANDRÉ.

Moi, en justice ; il y a de quoi faire damner un homme d’avoir affaire à une telle mule ; je n’avais jamais ouï dire qu’on pût être aussi entêté.

JACQUELINE, sautant à bas du lit.

Vous avez vu un homme entrer par la fenêtre ? L’avez-vous vu, monsieur, oui ou non ?

MAÎTRE ANDRÉ.

Je ne l’ai pas vu de mes yeux.

JACQUELINE.

Vous ne l’avez pas vu de vos yeux, et vous voulez me mener en justice ?

MAÎTRE ANDRÉ.

Oui, par le ciel ! si vous ne répondez.

JACQUELINE.

Savez-vous une chose, maître André, que ma grand’mère a apprise de la sienne ? Quand un mari se fie à sa femme, il garde pour lui les mauvais propos, et quand il est sûr de son fait, il n’a que faire de la consulter. Quand on a des doutes, on les lève ; quand on manque de preuves, on se tait ; et quand on ne peut pas démontrer qu’on a raison, on a tort. Allons, venez ; sortons d’ici.