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en haut lieu par cette bruyante aventure. On a supputé, dans un auguste cercle, la moyenne de l’âge des acteurs du banquet du château de Grand-Vaux, et l’on a trouvé que M. Duchâtel, qui n’a pris aucune part à ce scandale, et M. Vigier l’amphitryon, étant mis de côté, le cadet de tous ces mousquetaires et de ces aimables écervelés est âgé de quarante-un ans ! Les vétérans portent de cinquante-cinq à soixante ans. Que messieurs les ministres viennent maintenant parler à la tribune de la moralité et de la dignité du pouvoir ; qu’ils fassent donc saisir, dans une sainte indignation, Faublas, les Liaisons dangereuses, et une foule de livres mille fois plus innocens que leurs actes ; qu’ils s’érigent en déclamateurs des mœurs et de la société ! Le nom de Grand-Vaux et la date du 9 octobre suffiront pour leur répondre.

MM. de Broglie et Guizot, qui sont des hommes graves et dignes, souffrent plus qu’on ne pense de cette incartade de M. Thiers et de M. Persil ; et ils songeaient à demander la destitution de deux fonctionnaires qui avaient assisté les ministres en goguette dans leurs mémorables libations, mais on leur a fait observer avec raison que c’eût été frapper sur leurs collègues. On nous assure que M. Guizot, qui a l’habitude d’aller au fond des choses, et de chercher une cause sérieuse à tout, assigne à M. Thiers la pensée d’avoir voulu déconcerter, par cette folie, les projets de ses collègues qui tentent de se rapprocher du parti légitimiste. Le moyen, en effet, d’opérer une réaction religieuse et un rapprochement avec le faubourg Saint-Germain, après cette éclatante démonstration ! Un parti grave et sérieux ne saurait traiter avec les convives de Grand-Vaux ; et M. Thiers, qui craint l’envahissement de ce parti où l’arrestation de la duchesse de Berry ne lui sera jamais pardonnée, eût fait un acte de haute politique, au lieu d’une étourderie, comme on le suppose. Au reste, nous n’affirmons pas que ce soit là l’opinion de M. Guizot sur M. Thiers, et encore moins que M. Thiers ait eu un tel projet. Nous l’avons dit, M. Thiers s’ennuie, et son ennui nous prépare encore bien d’autres surprises.

Il se passe, dit-on, d’étranges choses dans le parti légitimiste. Les hommes qui ne varient pas, les grands caractères qui ont tout sacrifié à leur conscience et à leur opinion, essaient en vain de cacher le découragement qu’ils éprouvent. On voudrait se dissimuler les défections qui ont lieu chaque jour, et ne pas voir celles qui se préparent. Il est certain que les unes sont nombreuses, et que les autres ne le seront pas moins. On peut prévoir quelle nouvelle tendance prendra le ministère en se renforçant de ces élémens. Chaque jour l’éloigne davantage de son origine, et dans peu de temps, s’il continue à marcher aussi rapide-