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ÉTUDES DE L’ANTIQUITÉ.

« Celui qui a trouvé sur sa route une prospérité récente, conçoit au milieu de sa splendeur l’espérance de monter plus haut encore par son audace ; il a des soucis qui dépassent les richesses acquises. Le bonheur des mortels s’élève vite ; il tombe de même ; une pensée malencontreuse suffit à le renverser. L’homme ne brille qu’un jour : qu’est-il ? que n’est-il pas ? C’est le rêve d’une ombre[1]. » Ainsi Pindare jetait au milieu des joies orgueilleuses de la jeunesse d’austères enseignemens.

Que de choses le poète devait accumuler dans un étroit espace ! Aussi la concision et l’ellipse sont-elles les qualités les plus saillantes de son style, « Les grandes vertus méritent sans doute de grands discours : cependant c’est faire chose agréable aux sages que de peindre et de contenir beaucoup d’actions en peu de paroles. Au surplus l’occasion doit décider l’artiste. » Ainsi parle Pindare dans la neuvième pythique ; mais il inclinait sensiblement à la brièveté. C’était son génie d’enfermer beaucoup en peu de mots, de réunir dans un même espace et de les y tenir, les dieux, les héros, les aventures, les sentences, les siècles antiques, les triomphes récens des athlètes, les origines des nations et des villes, les inspirations de la muse. En quelques momens il veut instruire, charmer, enseigner, émouvoir : il ne présentera que les grandes peintures et les hautes pensées. Les détails intermédiaires seront omis ; il passera d’une sublimité à une autre d’un bond, sans descendre dans la plaine. Regardez au-dessus de vous, c’est Apollon, le carquois sur l’épaule, qui parcourt les montagnes sans trébucher. Avec une exquise justesse Pindare tombe d’aplomb sur le terme et le but qu’il veut atteindre. Il est elliptique avec un incomparable instinct, car il ne se trompe jamais sur l’image, sur l’idée qu’il doit sacrifier pour exalter une autre idée, pour rehausser une autre image. Voilà le faire des grands maîtres. Manière sublime d’écrire qui demande du courage, car elle est souvent méconnue ; mais l’artiste serait-il digne de l’art, si le premier juge qu’il veut satisfaire n’était pas lui-même ?

On a débité sur le compte de notre poète d’étranges bévues. Plusieurs l’ont représenté comme un maniaque, ayant le trans-

  1. Huitième pythique, avant-dernière et dernière strophe.