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ÉTUDES DE L’ANTIQUITÉ.

Les Perses avaient une inquiétude qui devait leur devenir mortelle. Depuis que les Athéniens, sans savoir où ils s’engageaient, avaient apporté quelque aliment aux troubles d’Ionie, l’Asie semblait ne pouvoir résister au désir de se jeter sur la Grèce. La prise et l’incendie de Sardes avaient appris pour la première fois à Darius le nom des Athéniens. Ce roi avait juré, en lançant une flèche vers le ciel, qu’il se vengerait, et il avait ordonné à un serviteur de lui crier trois fois au moment du repas : Maître, souviens-toi des Athéniens[1] !

Il est heureux pour le monde que ni l’esclave ni le despote n’aient manqué de mémoire. Darius et Xercès furent utiles à l’humanité avec leurs présomptueuses colères ; jamais têtes plus faibles, chargées de la couronne, ne servirent d’instrument à de plus grandes commotions. Tout s’ébranle comme à un signal convenu ; des villes et des nations qui n’avaient jamais entendu parler les unes des autres se trouvent en présence sur mer et sur terre, la rame et le javelot à la main. On s’aborde, on se combat, on se connaît ; la guerre a trouvé des causes plus grandes, le commerce de plus larges issues, le génie humain est plus utilement excité. Les guerres médiques furent vraiment la puberté du monde.

Tout le passé théocratique et royal de la Grèce s’éclipsait ; les esprits se séparaient peu à peu du souvenir des traditions antiques ; les mœurs commençaient à changer ; les maximes et les règles d’une politique religieuse et patricienne chancelaient ; les races et les maisons aristocratiques perdaient leur autorité primitive ; je ne sais quoi de libre et de populaire circulait comme un vent frais et pur à travers les vieilles institutions encore debout.

Pour être juste envers la démocratie grecque, il importe de ne pas la déplacer du rang chronologique qu’elle occupe dans l’histoire générale du monde. Elle n’est pas une exception soudaine et funeste, mais une suite légitime de la civilisation primitive des sociétés, mais une courte et brillante introduction à la liberté moderne. Ainsi la démocratie athénienne a été laborieusement mise au monde par l’époque pélasgique, l’époque cécropienne et l’époque ionienne. Il est injuste de déclamer contre elle. Cette démo-

  1. Hérodote. Terpsichore, chap. 105.