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porta tout son dévouement. Ses autres convictions et croyances illusoires s’étaient usées une à une, comme il arrive trop souvent aux ames même des plus poètes. Il avait chanté (bien rarement, il est vrai, une seule fois dans le Trappiste) la légitimité, et il se demandait pourquoi. Il avait, en chantant, adopté les croyances catholiques ; mais son cœur n’était que peu gagné à leur onction tendre, et leur côté sombre, dans de Maistre, le rebutait, lui faisait presque horreur. Il les appréciait un peu (moins la raillerie) en gentilhomme issu du xviiie siècle ; il se reprochait devant sa conscience, comme Chatterton, d’avoir menti en affichant la foi dans ses vers. Il en était venu aussi à croire médiocrement à tant de grands hommes, qui sont l’idole de la foule moutonnière et la pâture des imaginations inassouvies ; l’injustice l’avait de bonne heure aguerri sur la gloire. En un mot, il était bien des rêves ardens, prolongés, que son sourire ne permettait plus à son front. De tous ces élémens négatifs, hélas ! de ces observations fines et âcres, et d’un reste immortel de fraîcheur naïve et de passion adorable, naquit Stello.

Le défaut le plus capital de Stello, qu’on retrouve également dans Cinq-Mars et dans tous les ouvrages en prose de M. de Vigny, c’est un certain manque de réalité, une certaine apparence de poétique chimère, qui tient moins encore à l’arrangement et à la symétrie qu’à un jour mystique, glissant on ne sait d’où, au milieu même des plus vrais et des plus étudiés tableaux. La scène a beau être disposée historiquement avec toute la science et l’application dont le poète est capable, ce jour fantastique et prestigieux, qui tombe d’en haut comme dans un souterrain, nous avertit toujours que nous avons à faire à l’idéal amant des régions supérieures. C’est l’impression que cause, par exemple, dans le Capitaine Renaud, la belle scène du pape et de l’empereur ; on n’ose s’y confier comme à la vérité même, malgré l’émotion qu’on en reçoit. Shakspeare et Scott ne sont pas ainsi dans les scènes historiques qu’ils nous offrent, et rien n’avertit chez eux que le magicien est là. Puisque Stello, au milieu de ses émotions les plus pénétrantes, sait fort bien s’arrêter à d’ingénieuses vétilles, remarquer au plus fort de ses douleurs que le nom de Raphaël signifie un ange, et que Rubens veut dire rougissant, puisque, le sentiment allant son train