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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

la forme ossianesque sous laquelle apparaît vaguement d’abord l’archange ténébreux, et la vierge voltigeante qui n’ose redescendre comme une perdrix en peine sur les blés où l’œil du chien d’arrêt flamboie, et la nageuse surprise fuyant à reculons dans les roseaux. Mais surtout rien ne peindrait mieux cette muse, dans ce qu’elle a de joli, de coquet, comme dans ce qu’elle a de grand, que l’image du colibri étincelant et fin au milieu des lianes gigantesques ou dans les vastes savanes sous l’azur illimité. M. Brizeux, dans un article du Mercure[1] à propos d’Éloa, rapprochait du nom du poète ceux de Westall et du Primatice. Ce rapport, juste et délicat, se trouvera plus vrai encore pour Kitty Bell, pour mademoiselle de Coigny et madame de Saint-Aignan, ces sœurs humaines d’Éloa, à mesure que nous avancerons dans les dédales d’ivoire que le père de Stello aime à construire et où il dispose ses blanches figures. On pourrait naturellement rappeler aussi, à côté d’Éloa, l’Endymion de Girodet, de ce peintre ami de notre poète, et comme lui de la race de ceux qui se tourmentent eux-mêmes.

Le point de départ de M. de Vigny en poésie a été le contraire du convenu, du commun, au prix quelquefois d’un certain naturel et d’une certaine simplicité, au prix de la verve de prime-saut et droicturière, comme dirait Montaigne. Il commence une de ses plus jolies pièces par ce vers compliqué, obscur, gracieux pourtant, sans qu’on sache trop pourquoi, et qui ne s’explique qu’ensuite :

Ils sont petits et seuls ces deux pieds dans la neige.

Le début de cette pièce me représente à merveille le début de sa muse ; elle fit ses premiers pas aussi péniblement que la belle Emma portant son amant sur la neige. Mais dans la pièce, Charlemagne regarde et pardonne ; et le public, qui n’est pas un Charlemagne, comprit peu, regarda peu, et ne se soucia guère ni de pardonner ni d’autre chose. Les poèmes recueillis en 1822, Éloa publiée en 1824, eurent peu de succès, et, sans la prose de Cinq-Mars, en 1826, le nom de l’auteur restait long-temps encore

  1. Mai 1829.