Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/192

Cette page a été validée par deux contributeurs.
188
REVUE DES DEUX MONDES.

dans un de ces cas, on eut la preuve que la liqueur n’était rien moins qu’innocente, et l’expérimentateur s’en étant fait jaillir dans l’œil une goutte presque imperceptible, sentit aussitôt une douleur très vive ; son œil devint rouge comme l’écarlate et resta ainsi plusieurs jours.

On croyait autrefois le poison des crapauds non-seulement très actif, mais encore très subtil ; témoin le fait suivant rapporté par le cardinal Ponzett, qui le tenait d’un témoin occulaire. Un paysan, disait-il, trouvant des vaches dans son champ de blé, prit pour les en chasser un roseau qui portait un crapaud embroché. Il le prit par le bout opposé, et cependant, étant rentré chez lui pour dîner, à peine eut-il commencé à porter les alimens à sa bouche, qu’il fut pris de vomissemens. Au bout de quelque temps, se sentant remis, il voulut recommencer à manger ; aussitôt retour des mêmes accidens qui se répétèrent jusqu’à ce qu’il eût pris le parti de se servir des mains d’un autre pour recevoir chaque bouchée. On jugea, ajoute le cardinal, que la nature spongieuse du roseau avait permis au poison de s’étendre jusqu’à l’extrémité opposée et de se communiquer aux mains de l’homme. Ce qui rendait, suivant notre auteur, le venin de l’animal plus dangereux, c’est qu’il était mort en colère. « Cette circonstance, ajoute-t-il, influe beaucoup sur l’activité du poison ; aussi, ceux qui veulent se servir, pour commettre quelque crime, de la bave du crapaud, ont coutume de suspendre l’animal par les pieds au-dessus d’un vase destiné à recevoir le liquide virulent, et de le battre jusqu’à ce qu’il ait perdu la vie. »

C’était par un moyen analogue, mais en prenant un cochon au lieu d’un crapaud, qu’on obtenait, disait-on, la célèbre Agua tofana.

Si l’on a été pendant long-temps fort au-delà du vrai relativement aux propriétés malfaisantes du crapaud, on a depuis péché par l’excès contraire, et aujourd’hui même, ainsi que je l’ai dit, beaucoup de naturalistes regardent cet animal comme incapable de nuire en quelque manière que ce soit. C’est une erreur qui peut avoir ses inconvéniens et qu’il est bon de signaler. Le célèbre chimiste Davy ne la partageait pas, et partant de l’idée très sensée que la croyance populaire ne s’était pas établie sans quelque fondement, il entreprit un examen de la liqueur laiteuse exsudée par la peau du crapaud. Il y découvrit un principe fort acre agissant sur la langue comme l’extrait d’aconit préparé dans le vide, et excitant, même quand on l’applique sur la peau de la main, un sentiment de brûlure qui dure plusieurs heures. Le suc lui-même produit des effets semblables, mais souvent moins puissans en raison du plus ou moins d’albumine qui s’y trouve toujours mêlé.

Davy, voulant savoir quel serait l’effet de cette liqueur portée dans la cir-