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SCIENCES NATURELLES.

queur laiteuse dont j’ai parlé, et qui est chez eux plus abondante que chez toutes les autres espèces. L’Indien en enduit aussitôt la pointe de ses flèches, puis les pique séparément par le bout opposé dans un morceau d’argile molle, de manière à ce qu’en séchant elles ne soient point exposées à se coller entre elles. La même opération se continue jusqu’à ce que le sauvage ait préparé la quantité de flèches qu’il croit pouvoir employer pendant l’année. Quelques-uns cependant restent aussi long-temps qu’on voit des crapauds, et à la fin de la saison ils ont une provision considérable dont ils se défont ensuite aisément par voie d’échanges. Ces flèches en effet sont fort recherchées, car elles tuent aussi sûrement et aussi vite que celles qu’on prépare avec le curare dans les provinces situées à l’est de la Cordillère. Une seule suffit pour tuer dans une ou deux minutes un animal gros comme un renard.

Il arrive quelquefois qu’au lieu d’empoisonner directement les flèches, on recueille le suc vénéneux en raclant avec un couteau de bois le dos de l’animal. Ce moyen a été aussi employé dans l’ancien monde pour se procurer un poison, et il est indiqué par le scholiaste de Nicandre. Seulement, pour favoriser l’exsudation de la liqueur, cet écrivain dit qu’on doit piquer les pustules, tandis que les Indiens, dans la même intention, présentent, comme je l’ai dit, le dos de l’animal au feu. Je crois que leur procédé remplit mieux le but[1].

Le venin des crapauds de notre pays n’est pas à beaucoup près aussi actif que celui des crapauds de Tatama ; cependant j’ai vu, dans des expériences qui se faisaient chez M. le professeur Magendie, tuer un cochon d’Inde en le piquant légèrement d’un scalpel, dont la pointe avait été chargée de l’humeur laiteuse exsudée de la peau d’un crapaud. Dans d’autres circonstances, l’expérience n’a pas réussi sans que l’on ait pu déterminer à quoi tenait cette différence dans les résultats ; au reste, même

  1. Il paraît qu’au Brésil, dans la province de Rio-Negro, on trouve des crapauds dont le venin n’est pas moins actif. Voici, en effet, ce que dit à ce sujet un voyageur très véridique, qui en 1828 traversa cette province, en se rendant de Lima au Para ; « À Egas, village situé sur l’Amazone, un peu au-dessous de l’embouchure du Japura, on trouve en très grande abondance des crapauds ou grenouilles qu’on regarde comme extrêmement venimeux. Certains Indiens étrangers qui avaient l’habitude de manger des grenouilles, étant arrivés à Egas par la rivière de Teffe, voulurent faire un repas de batraciens qu’ils trouvèrent aux environs de ce village ; ils furent tous empoisonnés, et la plupart moururent. » (Maw, Passage de la Mer Pacifique à l’Atlantique, en traversant les Andes et descendant l’Amazone. Londres, 1829, p. 277.)