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SCIENCES NATURELLES.

tort dans ces batailles, ils partaient de là pour lui attribuer un caractère haineux et querelleur.

Cet animal est fort, méchant ;
Quand on l’attaque, il se défend.

Ils citaient encore en preuve l’aversion qu’il a pour le serpent, pour le serpent qui le poursuit et qui le mange ; ils auraient presque fait un crime à la pauvre bête de se mettre en travers pour n’être pas avalée.

À ce propos, il me souvient d’une histoire qui, lorsqu’on me l’a contée, m’a paru fournir l’explication d’un de ces nombreux prodiges que nous présentent les annales des premiers temps de la république romaine. Pline rapporte (livre viii, chapitre 41) qu’à l’époque de l’expulsion des Tarquins on entendit aboyer un serpent. J’ai déjà fait ma profession de foi relativement à ces récits merveilleux, et dit que je les croyais fondés bien moins sur des impostures préméditées que sur de mauvaises observations ; je pense que ce dernier cas vient encore à l’appui de mon opinion. On en jugera, au reste, après avoir entendu l’anecdote suivante, que je tiens de la bouche de l’observateur lui-même, feu M. le comte Réal.

« Pendant mon exil aux États-Unis je me promenais un jour, disait-il, à quelque distance d’une maison que j’avais fait construire sur les bords du Saint-Laurent, lorsque j’entendis sortir d’un buisson une sorte d’aboiement étouffé. Dirigeant la vue du côté d’où partait le bruit, j’aperçus le corps d’un serpent dont la tête était cachée sous de larges feuilles. Le mettre en joue, le tirer, ce fut l’affaire d’un instant. Le serpent, frappé à mort, s’allongea, et alors j’aperçus une tête qui ne semblait pas moins étrange par sa grosseur que par sa forme ; au lieu de deux yeux elle en présentait quatre. Je me frottais les yeux moi-même pour m’assurer que j’étais bien éveillé ; or jugez si ma surprise dut redoubler lorsque je vis que cette tête croissait très sensiblement en longueur : je m’approchai cependant, et je pus alors distinguer un crapaud qui se dégageait avec peine de la gueule du reptile dans laquelle il était sans doute presque entièrement englouti, lorsqu’il faisait entendre le cri de détresse que j’avais pris pour un aboiement. Il sortit enfin, assez maltraité, mais encore plein de vie, et il s’en alla bon train, sans me dire seulement : Grand merci. J’ai dû lui pardonner cependant ; les hommes, long-temps avant les crapauds, m’avaient appris à ne pas compter sur la reconnaissance. »

J’aurais encore beaucoup de traits à ajouter à l’histoire merveilleuse du crapaud ; je devrais parler de sa prétendue transformation en poisson, de la pierre qu’on croyait contenue dans sa tête et qui devait fournir