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périr en quelques minutes un jeune pigeon. J’ai vu en Amérique une espèce beaucoup plus petite produire sur l’homme des accidens analogues à ceux qui résultent dans notre pays de la morsure de la vipère. Nos araignées d’Europe sont moins redoutables, mais sans croire à tout ce que Baglivi et d’autres ont débité sur le compte de la tarentule, on fait bien de se méfier des piqûres des grosses espèces, surtout dans les contrées méridionales, et il n’est pas douteux qu’elles ne puissent être pour certains reptiles à peau nue des ennemis redoutables. M. Berthelot, directeur du jardin d’acclimatation de l’Orotava, m’a dit que, se promenant un jour dans une partie peu fréquentée de l’île, il aperçut, sous une pierre qu’il soulevait pour y chercher des insectes, une araignée cramponnée sur le dos d’un batracien qu’elle paraissait avoir déjà blessé, et dont elle voulait sans doute se nourrir. L’araignée était très forte, et la grenouille appartenait à une espèce très petite qui, à l’état adulte, n’a pas plus d’un pouce de longueur ; mais que le fait eût été raconté sans détails devant un auditeur ignorant en histoire naturelle, il se serait figuré certainement un crapaud large comme la main, une araignée grosse au plus comme un pois, et il n’aurait pu supposer que cette dernière, en attaquant le reptile, eût d’autre but que de satisfaire une aveugle haine.

Voilà donc une première manière de concevoir l’erreur sans supposer le mensonge ; en voici une seconde, et c’est celle que j’adopterais le plus volontiers.

On trouve dans toutes les parties chaudes de l’ancien et du nouveau monde certains sauriens (les geckos) dont l’aspect est repoussant, dont les habitudes sont ténébreuses presque autant que celles des crapauds, et qui font de même assez souvent leur demeure dans les trous des vieux murs. Les geckos et les crapauds peuvent, comme voisins, comme gens d’un même métier (car ils vivent l’un et l’autre aux dépens des insectes), avoir quelquefois des querelles, quelquefois même en venir aux coups. Or, une espèce de gecko porte en plusieurs parties de l’Italie le nom de tarentule (tarentola). On conçoit dès-lors très bien qu’on ait pu attribuer à la tarentule-araignée ce qui se racontait des habitudes de la tarentule-gecko.

On pourra remarquer, comme coïncidence singulière, qu’en hébreu le gecko et une espèce d’araignée portent aussi le même nom, ou du moins des noms assez peu différens pour que les traducteurs les aient souvent confondus.

Les naturalistes du moyen-âge sont, je crois, les premiers qui aient parlé des démêlés entre l’araignée et le crapaud, et quoique, d’après la manière dont ils présentaient la chose, le pauvre crapaud n’eût aucun