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SCIENCES NATURELLES.

n’eût trouvé un auxiliaire sur lequel il ne pouvait guère compter. Voici l’anecdote telle qu’on la peut lire dans les Colloques d’Érasme.

« Il règne, dit un des interlocuteurs, une profonde inimitié entre le crapaud et l’araignée ; ils ont de fréquens combats, et je t’en veux conter un qu’on dit avoir eu lieu en Angleterre. Tu sais que dans ce pays on a coutume, en certaines saisons de l’année, de couvrir le plancher de joncs fraîchement coupés ; un moine donc avait apporté dans sa cellule une botte de ces joncs pour les y éparpiller ; mais avant qu’il l’eût fait, la cloche du dîner l’appela, et en sortant de table, il n’eut rien de plus pressé que de s’étendre sur le lit et de prendre son somme. Voilà cependant que du milieu des joncs sort un énorme crapaud qui s’avance vers le moine endormi, se place sur sa bouche, et se cramponne des quatre pieds aux deux lèvres. On entre par hasard dans la cellule, on est frappé d’horreur ; mais que faire ? déranger le crapaud, c’était tuer à l’instant le moine ; le laisser où il était, c’était quelque chose de plus horrible encore. Enfin quelqu’un ouvrit un avis ; c’était de transporter le moine avec sa couchette au-dessous de la fenêtre où une énorme araignée avait tendu ses toiles. On le fit ; à peine l’araignée eut-elle aperçu son ennemi, que, se laissant pendre d’un fil, elle arriva jusqu’à lui, le piqua de son aiguillon, et remonta rapidement vers sa toile. Le crapaud se gonfla, mais ne quitta pas prise. À la seconde piqûre on le vit enfler davantage, mais il vivait toujours ; à la troisième enfin ses pattes se détachèrent, et bientôt il tomba mort. C’est ainsi que l’araignée paya au moine la dette de l’hospitalité. »

« Voilà l’histoire telle que je l’ai reçue ; tu la prendras pour ce qu’il te plaira. »

Des écrivains fort antérieurs à Érasme avaient parlé de ces combats entre l’araignée et le crapaud, sans orner, il est vrai, le fait principal de tant de circonstances accessoires, mais aussi sans exprimer le moindre doute sur son authenticité.

On ne voit pas trop d’abord ce qui a pu faire croire à ces haines sans motif, à ces combats sans but, entre deux êtres de forces disproportionnées et où le plus faible est représenté comme l’agresseur ? La fable repose-t-elle sur des observations vraies, mais mal à propos généralisées ? ou doit-elle sa naissance à quelque quiproquo du genre de ceux que j’ai déjà signalés ? Les deux hypothèses sont également soutenables. Ainsi, à l’appui de la première, on devra faire remarquer que certaines espèces très carnassières d’araignées peuvent, lorsque la faim les presse, s’attaquer, à défaut d’insectes, à de petits vertébrés, le poison qu’elles portent leur fournissant un moyen de paralyser des animaux de taille très supérieure à la leur. Latreille assure que la piqûre de la mygale aviculaire fait