Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/180

Cette page a été validée par deux contributeurs.
176
REVUE DES DEUX MONDES.

coloration à un mouvement propre du sang lequel se portait spontanément au-devant d’un objet agréable, ou reculait devant un objet effrayant. Le sang était ainsi supposé capable de passions, et l’on croyait que ces passions pouvaient s’exercer quelque temps encore après la mort. De là vint l’usage de faire comparaître devant le cadavre d’une personne assassinée l’homme par qui l’on soupçonnait que le crime avait été commis ; on pensait que le sang du mort devait, à l’approche du meurtrier, s’élancer contre lui tout bouillant d’indignation, et jaillir par les blessures. Ce mode étrange d’instruction criminelle tomba, du reste, en désuétude bien avant que la doctrine physiologique sur laquelle il reposait fût entièrement abandonnée. Ce fut tout le contraire pour les méthodes de traitement qu’on en avait déduites ; quelques-unes survécurent de plusieurs siècles au système, et telles sont en particulier celles que j’ai à indiquer ici.

Si l’on pouvait, en agissant sur les passions du sang, produire chez un mort une hémorrhagie, on devrait pouvoir, à plus forte raison, l’arrêter chez un vivant en excitant une passion contraire. Lors donc que le sang, emporté par un mouvement aveugle, semblait vouloir abandonner le corps et perdre la communauté en se perdant lui-même, au lieu d’opposer à sa sortie des obstacles que peut-être il eût forcés, on lui présentait quelque objet propre à le faire reculer d’horreur ; or, parmi tous ceux auxquels on pouvait penser, aucun ne semblait mieux approprié que le crapaud. Cet animal trouva donc sa place dans la plupart des recettes contre l’hémorrhagie, et il y figura de cent manières différentes, tantôt vivant, tantôt mort, réduit en poudre ou réduit en cendres, tantôt seul et tantôt avec des adjuvans, c’est-à-dire avec des substances qu’on supposait douées de propriétés analogues.

Une des manières les plus simples est celle qu’avait mise en crédit Frédéric, duc de Saxe ; elle avait pour objet d’arrêter le saignement au nez, et consistait à serrer dans la main un crapaud séché à l’ombre, et à le tenir ainsi jusqu’à ce qu’on ne le sentît plus froid. Gesner dit que cela réussissait assez souvent ; d’ailleurs il ne s’abuse point sur la manière d’agir de ce remède ; le sentiment d’horreur qu’éprouvait naturellement le patient devait, dit ce judicieux écrivain, avoir pour effet de diminuer la force des pulsations du cœur, et tendait ainsi à arrêter le cours du sang précisément comme l’eût fait une syncope.

Dans le combat singulier qui eut lieu à Lyon entre un crapaud et le capucin Rousseau, le moine, comme on l’a vu, faillit succomber ; mais il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même, il avait commencé les hostilités. Le cas que je vais rapporter est tout différent ; le crapaud avait pris l’initiative pour attaquer un moine, et il l’eût fait périr sans doute, si celui-ci