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l’aient décrit comme espèce distincte que depuis un petit nombre d’années, les autres le connaissaient depuis des siècles ; mais supposant que, hors les cas de force majeure, l’animal ne sortait jamais de sa cellule, ils en avaient conclu qu’il devait se nourrir exclusivement de terre. Cette fausse notion fut admise sans hésitation par des écrivains du xie et du xiie siècle, étendue à toutes les espèces du genre, et bientôt embellie de circonstances merveilleuses. Il fut admis, par exemple, que le crapaud prenant par poids et par mesure la terre dont il se nourrissait, ne consommait chaque jour que la petite portion comprise sous un de ses pieds.

Comment cette bizarre idée avait-elle pu s’introduire ? c’est ce que l’on conçoit assez bien quand on remarque dans quelle classe d’ouvrages elle a été d’abord présentée. C’est des bestiaires en effet qu’elle est passée dans les livres d’histoire naturelle ; or, un bestiaire n’est pas, comme bien des gens le supposent, un manuel de zoologie, mais un recueil d’apologues.

L’apologue, employé comme moyen d’instruction de temps immémorial, a subi, ainsi que toutes les choses de ce bas monde, les caprices de la mode, et ses formes ont varié selon les époques. Tantôt nous avons de longues histoires dont des hommes sont les héros, d’autres fois de petits drames où divers animaux agissent d’une manière plus ou moins conforme au caractère qui leur est communément attribué. Il y a un temps où les devises seules sont en faveur, de telle sorte, que Saavedra, voulant faire un cours de politique à l’usage des princes, croit ne pouvoir présenter ses maximes qu’après les avoir revêtues de cet habit. Au moyen-âge, on a les bestiaires qui ne se distinguent des devises qu’en ce que le corps est toujours pris d’un animal, et que l’ame est relative à quelque point de dogme ou de morale chrétienne.

Dans les bestiaires les animaux ne sont pas, comme dans les fables proprement dites, des acteurs chez lesquels on suppose les pensées, les passions, les intérêts des hommes. On ne les met pas en présence les uns des autres, on les passe successivement en revue, en s’arrêtant sur un trait de leur conformation ou de leurs mœurs, qui sert comme de texte à sermon plus ou moins long. Ce qui importe, ce n’est pas que le texte soit juste, mais qu’il conduise par une déduction aisée à une bonne moralité. Si donc un nouveau développement s’offre à l’esprit de l’écrivain, il ne se fera pas scrupule de supposer une habitude ou au moins une intention à l’animal qui fait le corps de la devise.

Lorsque le coadjuteur au parlement inventa un passage de Cicéron, qui lui fournit l’occasion de se louer lui-même, dans une circonstance où ceux qui l’entouraient n’eussent pris la parole que pour le blâmer, on ne le traita pas de faussaire ; ne traitons donc pas de