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troisième des doigts terminés par des pelottes au moyen desquelles l’animal adhère à la surface lisse des feuilles. Dans la nature les caractères ne sont pas aussi nettement tranchés, et la division en trois groupes est réellement insuffisante, surtout quand on ne se borne plus à considérer les espèces de nos pays ; cependant elle repose sur un sentiment assez juste des rapports, et si les anciens en avaient fait usage, nous aurions bien souvent moins de peine à les comprendre.

À la vérité, les noms de phryné chez les Grecs, et de rubeta chez les Latins, désignent habituellement quelque espèce de crapauds ; mais il n’est pas rare de les voir employés lorsqu’il s’agit de la grenouille rousse. Il en est de même des deux mots physale et bufo[1] ; ces mots qui

  1. Le mot physale vient du verbe physao qui veut dire souffler, se tendre d’air, se gonfler en retenant son haleine ; le verbe latin buffare avait les mêmes significations, et il les a toutes conservées en passant dans la langue espagnole. Il paraît que ce verbe devint promptement hors d’usage, et on ne le trouve point chez les écrivains du bon temps de la littérature latine ; mais ils emploient encore son dérivé buffa, qui signifie un coup de main sur la joue gonflée. Les acteurs qui dans les farces antiques remplissaient un rôle analogue à celui du paillasse dans nos parades modernes, c’est-à-dire qui excitaient les risées du peuple par les coups qu’ils recevaient à tout propos, avaient reçu le nom de buffones (bouffons), parce que, comme l’a remarqué Saumaise dans son commentaire sur un livre de Tertullien, ils se gonflaient les joues, afin que les soufflets retentissent mieux ; j’ajouterai que le mot soufflet, qui répond au buffa des Latins, au bofeton des Espagnols, a une origine analogue.

    Le nom français du crapaud me paraît dériver, et par une même suite d’idées, du verbe crepo. Ce verbe qui répond bien à notre mot crever, c’est-à-dire rompre avec bruit par suite d’une distension intérieure, a dû, dans l’origine, se rapporter à la cause, non à l’effet, et exprimer ainsi l’action de se gonfler d’air. C’est du moins ce que semble indiquer le mot crepida, nom donné d’abord au soufflet à attiser le feu, et qui plus tard, par un caprice de la mode, fut appliqué à une nouvelle forme de pantoufles. Tout le monde sentira comment on a pu être conduit à donner à un batracien un nom qui signifie se gonfler jusqu’à rompre. Personne n’a oublié la grenouille qui, à la vue d’un bœuf,

    Envieuse, s’étend, et s’enfle, et se travaille,
    Pour égaler l’animal en grosseur.

    Et l’on se rappelle aussi que

    …… La chétive pécore
    S’enfla si bien qu’elle creva.