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qui viendrait y toucher. Quand le peuple renversait les croix, c’était au poète de crier au peuple ce que la croix avait fait d’immortel : et hier, quand le sénat se rassemblait pour abolir la parole, les poètes devaient parler une dernière fois. Aujourd’hui c’est une pitié, Uhland serait mis en cause, Tyrtée en prison.

Il y a des hommes que la circonstance fait poètes, qui n’ont en eux qu’une corde d’airain, insensible aux caresses des brises, à l’attouchement du soleil, et qui reste silencieuse et muette, si le peuple, étrange musicien, ne la fait vibrer en un jour de colère. Leur inspiration est véhémente, exaltée, amère, pleine d’invectives et de mots grossiers, elle éclate et bondit, puis rebondit encore, comme un lion qui lutte. Leur voix porte haut et loin, mais ne sait pas se maintenir ; leurs sons vibrent, mais ne se prolongent pas. Aussi quand les tocsins enroués se taisent, quand les mousquets et les canons se reposent, cette muse qui chantait avec les tocsins, les mousquets et les canons, demeure seule sur la place déserte, et si elle n’a pas dans son cœur une voix pour les fêtes et les jours de paix, elle rentre dans la solitude et l’oubli. Uhland a compris cela, et bientôt à ses chansons patriotiques ont succédé d’autres chansons pures et gracieuses, pleines d’amour et de mélancolie. Le volcan de sa poitrine, en s’ouvrant, avait jeté des flammes ; Uhland, voyant les flammes s’éteindre, a creusé le volcan, car il savait bien que la source des larmes était au fond et qu’il la trouverait.

À prendre son œuvre dans son entier développement, Uhland est un poète allemand complet, car il a l’exaltation patriotique, l’amour de la nature, le sentiment du merveilleux. Cependant, si l’on veut bien y réfléchir, de ces trois choses, il n’y en a qu’une seule, la première, qui lui appartienne ; les deux autres, Bürger et Novalis peuvent les réclamer. Je ne sais, ni en Allemagne ni en Angleterre, un homme qui ait mieux compris le génie de la ballade, que Bürger dont nous ne connaissons en France que le magnifique poème de Lénore. Et qui donc, s’il vous plaît, osera se comparer à Novalis, au chantre adorable des pudiques amours de Henry d’Ofterdingen et de Mathilde, à cet harmonieux jeune homme qui n’a eu commerce qu’avec les plus douces choses de la nature, et qui est mort de bonne heure pour avoir compris trop