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REVUE DES DEUX MONDES.

Nous passâmes rapidement devant Gousta-Thal[1], principal but de notre voyage ; nous devions y revenir ; et poussés par les bras robustes de nos jeunes rameurs, nous atteignîmes l’extrémité du lac où débouchent trois grands torrens parallèles, sillonnant trois profondes vallées. Notre but était de faire une visite au pasteur de Tind, pour lequel nous avions une lettre.

La vie de ces pasteurs de campagne offre une belle tradition des mœurs patriarcales. Ils habitent quelquefois à dix lieues les uns des autres, et à quarante de la ville la plus proche. Pendant six mois, ils sont comme en prison dans leurs montagnes ; la neige, qui, dans les plaines, raccourcit les distances, n’est pour eux qu’un obstacle de plus. Quand elle tombe dans l’automne, ou fond dans le printemps, ce n’est qu’avec les plus grands dangers qu’ils vont prêcher dans leurs annexes, éloignées de cinq ou six lieues. Trente ou quarante chevaux, et autant d’hommes qui s’attachent à leur suite, sont employés à frayer le passage : les lacs sont leurs meilleures routes ; lorsqu’ils sont gelés, ils glissent rapidement sur leur surface. Quelquefois, dans le cœur de l’été, ils font un voyage à la ville la plus prochaine ; c’est une grande partie de plaisir, quand ils peuvent y mener leurs femmes et leurs filles. Là ils font leur provision de tout ce qu’ils doivent consommer dans l’année, de sel, de sucre, de thé, de café, de saumon fumé, d’eau-de-vie, etc. Ils se procurent des livres, la collection des journaux de l’année précédente ; ils voient leurs vieux amis de collége ; enfin ils font une visite au monde, puis retournent avec leurs provisions de corps et d’esprit s’enterrer pour plusieurs années dans leurs montagnes.

Les pasteurs vivent presque tous dans l’aisance ; ils lèvent une dîme sur les productions de la terre, mais n’ont jamais recours aux lois pour l’obtenir. Leur revenu se monte à mille à douze cents species, quatre à cinq mille francs ; somme plus que suffisante dans un pays pauvre ; véritable médiocrité dorée, nécessaire à la considération.

Après trois jours passés chez le pasteur de Tind, au milieu de

  1. Thal, vallée.