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REVUE DES DEUX MONDES.

votre gloire ; le poisson dans la grande mer, le ver dans sa maison de terre, crie votre nom ; à chaque créature vous donnez sa part de joie, et à cette pauvre femme-ci, vous ne donnez que tourmens ! Christ ! pourquoi suis-je humiliée ? pourquoi condamnée à mourir ? À mourir, mon Dieu ! à mourir ! à mourir d’une mort violente ! — Mais vous ne savez donc pas ce que c’est que mourir, Seigneur ? — Mais voyez, Christ, je n’ai point péché, vous êtes bon, et je suis punie ! Oh ! je deviens folle à cette pensée ; je deviens folle en songeant que vous aussi vous m’abandonnez. Triffine, Triffine, pauvre chère insensée, que veux-tu ? Te venger de Dieu ? Ô Jésus ! pardon, pardon, mon Sauveur ! c’est ma souffrance qui crie et accuse, et non ma volonté.

(La voix de l’ange Raphaël se fait entendre.)

— Courage, fidèle Triffine !

TRIFFINE.

Ah ! donnez-moi du courage, Seigneur, donnez-moi du courage ! que je souffre jusqu’à ce que vous soyez satisfait.

L’ANGE RAPHAËL.

C’est la peine qui donne la gloire. Dieu a dit : Gloire pour tourmens !

TRIFFINE.

J’obéirai. Oui, j’obéirai. Je ne me damnerai pas pour la torture de la chair.

L’ANGE RAPHAËL.

Il faut que ce soit ainsi.

TRIFFINE.

Oui, oui, je n’écouterai que vous. Il faut gagner l’auréole ; il faut chercher le ciel et dépouiller la terre. Vous serez mon maître, ange que j’entends, et vous enlèverez, du bout de vos ailes, les souillures qui flétrissent encore mon ame. — Mais je suis abandonnée depuis si long-temps ; je souffre tant, ô mon ange gardien ! voyez mon corps affaissé sous les chaînes ! Vierge, Vierge, détournez un instant vos regards de votre fils pour soutenir mon cœur.

L’ANGE RAPHAËL.

Courage, femme, Dieu écoute ta prière : rappelle-toi Jésus-Christ, la seconde personne de la Trinité. Celui-là versa jusqu’à la dernière goutte de son sang, quand il était dans votre vie, et nulle plainte ne tomba de sa bouche, car il était content de souffrir pour les pécheurs. Et vous, Triffine, vous êtes impatiente de vos maux ! vous jetez à Dieu vos plaintes pour un peu de douleur !… Ma sœur chérie, oh ! par combien de douceurs sera payée votre amertume ! Regardez ici, ma sœur ! celui qui vous parle vous consolera. (L’ange devient visible.) Je prendrai votre ame et j’irai la poser aux pieds