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POÉSIES POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

ARTHUR, attendri.

Cela est vrai ; voilà nos noms brodés là, en or pur… Triffine, oh ! croyez-moi, je ne livrerai plus mon oreille aux faux rapports, je ne croirai plus que mes propres yeux. Viens avec moi, femme choisie, et, avec la grâce de l’Esprit saint, nous vivrons encore heureux, malgré les méchans qui voudraient nous contester notre joie.

LA DUCHESSE.

Gloire à Dieu et à la vierge Marie, puisqu’ils ont réjoui les cœurs de tous les Bretons ! Arthur, vous m’aviez envoyé ma nièce en mendiante ; je vous la rends vêtue en reine ! Allez donc, et soyez, jusqu’à la fin de vos jours, doux et bons l’un envers l’autre. Un miracle a été fait en votre faveur ; délassez-vous maintenant dans la douce présence de votre épouse, Arthur, et songez que si vous faites encore couler ses pleurs, vous pécherez.

TRIFFINE.

Venez, Arthur, mon roi ; venez, et je serai votre reine fidèle.

Arthur part pour la Bretagne avec Triffine, et ici finit la cinquième journée.


Le Kernewote s’arrêta encore une fois pour vider son pichet, que Collinée lui avait rempli ; ses auditeurs, émerveillés, le regardaient avec une véritable admiration. C’était chose toute nouvelle pour eux que cette adroite contexture d’un drame qui se déroulait sans épisodes étrangers, sans lacune, sans divagations. Ils suivaient cette série logique de scènes soumises à une pensée unique, et ressemblant à autant de fils conduits par la même navette pour former une trame serrée. Ils éprouvaient une fièvre croissante d’intérêt qui semblait devoir les mener à la crise ; puis, tout à coup, des points d’arrêt venaient agacer et irriter leur attention ; ou bien une chute subite du drame (comme celle où Tanguy venait de s’arrêter, à la fin du cinquième acte) coupait en deux l’intrigue, arrêtait les prévisions, et donnait à ce qui allait suivre tout le charme de la nouveauté et de l’inattendu. Ils sentaient tout cela sans pouvoir l’exprimer distinctement. Et puis leur esprit, habitué à l’obscure confusion des tragédies habituelles, se sentait tout à coup saisi, devant l’œuvre qu’on leur présentait, de je ne sais quel sentiment de lucidité facile et profonde, d’une sorte de bien-être et de puissance, comme il arrive toujours en face des œuvres empreintes d’un beau caractère d’harmonie et d’unité.

— Celui qui a fait cette tragédie connaissait son Horatius, dit Collinée. Simplex duntaxat et unum. Il a suivi la marche d’Homerus dans ses belles rapsodies :