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tagne, comme on m’en donne l’espérance. Je m’épouvante à cette pensée, car si vous êtes Triffine, certes, j’en ai le cœur brisé.

TRIFFINE.

Je n’ai rien à vous dire, — rien qu’à vous supplier, au nom de Jésus-Christ, de me secourir dans cette vie, car j’ai été accusée injustement, et le cœur me manque à l’idée du châtiment.

LA DUCHESSE.

Je vous fais serment que, lors même que vous seriez coupable, pas un cheveu ne tomberait de votre tête : vous n’avez rien à craindre ; mais, au nom du ciel, dites votre nom.

TRIFFINE.

Puisqu’il faut tout vous découvrir, je suis Triffine, noble femme et reine, depuis six ans servante dans votre palais !

LA DUCHESSE.

Sauveur de ma vie ! — Princesse, je vous demande pardon des insultes qui vous ont été faites. — Dieu ! vous ici, servante des servantes ! gardienne de pourceaux ! — Que tout ce qu’il y a de gens dans ma maison vienne pour demander pardon à la reine, comme je le lui demande moi-même. — (Elle se met à genoux.) Reine de la Petite-Bretagne, je vous en prie, au nom même de vos souffrances, pardonnez à votre tante !

Triffine la relève, et pardonne à tout le monde. L’intendant, de retour, apprend à Arthur que sa femme est retrouvée, et le roi arrive avec empressement. Mais quand il se présente au palais de la duchesse, celle-ci l’arrête à la porte et lui demande ce qu’il cherche. Il dit qu’il vient voir la rose qu’il aime, la souveraine de son cœur. Alors la duchesse lui présente successivement plusieurs femmes, comme on fait aux nouveaux mariés de Cornouailles, et Arthur dit toujours que ce n’est point celle qu’il demande. Enfin Triffine paraît, et le roi s’écrie en pleurant :

La voilà ! maintenant je suis content ! Voilà Triffine, reine de la Basse-Bretagne. — Pardonnez-moi de vous avoir causé de la douleur, madame ! Oh ! j’ai bien souffert pour vous, croyez-moi !

TRIFFINE.

Arthur, j’ai essuyé bien des peines ; mais je ne m’en plains pas, puisque Dieu le voulait, et que je suis toujours votre plus aimée. Arthur, regardez-moi ! Oui, je suis bien la jeune fille d’Hybernie que vous avez conduite chez vous avec la couronne royale au front. Voilà un voile d’or que j’ai conservé. Regardez-le, Arthur ! je le portais le jour où nous nous promîmes l’un à l’autre de vivre ensemble avec bonheur !