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tête. (Il le tue et le jette à la mer.) Aux autres maintenant. (Les Flamands tuent tous les matelots. Le capitaine flamand s’adresse à la nourrice.) Et toi, jeune fille, avec ton petit oiseau, lève-toi ; tu étais la ribaude de ceux-ci, n’est-ce pas ? Jette ce bâtard à la mer, si tu ne veux être invitée à la même fête que tes amans.

LA NOURRICE.

Tuer un pauvre enfant innocent !… Oh ! cela est un crime sans cœur. Il y a de la pitié en moi. Vous me faites horreur.

LE CAPITAINE.

Jette à la mer cet enfant, te dis-je, et nous te laisserons vivre, et si tu es une belle fille, tu nous serviras comme tu servais les autres.

LA NOURRICE.

J’aime mieux mourir que de perdre mon ame. Il se trompe celui qui croit que je lui livrerai ainsi mon honneur pour rançon. — Je ne jetterai pas non plus mon pauvre innocent dans la mer ; ma vie est à vous, mon honneur est à moi.


Les Flamands furieux veulent la frapper de leurs haches, mais leurs bras restent immobiles et paralysés. Effrayés de ce miracle, ils tombent à genoux, et le navire, sans conducteurs et jouet des vagues, disparaît sur la mer bleue.

La scène suivante se passe à Saint-Malo. Un ange apparaît à l’évêque de cette bonne ville. Il lui dit que le bon Dieu lui fait ses complimens et lui annonce qu’un navire de pirates flamands vient d’aborder au rivage, qu’il faut aller quérir un enfant qui s’y trouve avec sa nourrice. « C’est, dit l’ange, un rejeton de haute lignée, et l’Éternel le réserve pour un grand miracle. » L’évêque obéit. Il se rend au navire et en ramène la nourrice et l’enfant.

Ici finit la seconde journée.

Dans la journée suivante on voit Arthur de retour près de Triffine et Kervoura qui part pour l’Hybernie. En y arrivant, il demande la nourrice et l’enfant qu’il a envoyés il y a un mois, mais on lui répond qu’on ne les a point vus. Kervoura devient pâle et s’asseoit ; puis, tout éperdu de désespoir, il s’écrie :

« Le malheur est sur tous mes projets. Il suffit que je désire une chose pour qu’elle échoue. Je ne sais pourquoi je me tiens dans cette vie : pourquoi ne pas mourir plus tôt ? La corde ou l’eau !… puisque l’enfer ne veut pas s’ouvrir pour moi ! Démons qui brûlez, je suis plus malheureux que vous, car l’ambition est la plus brûlante des flammes. Oh ! je le sens, le désespoir me rendra fou ; je deviendrai semblable à un chien enragé. — Cet enfant, qu’est-il donc devenu ? où l’a-t-on conduit ? qui l’a pris ?