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exprimer sa sympathie pour le principe de l’hérédité de la pairie. Quant à la chambre des députés, elle n’a fourni qu’un candidat, le comte de la Riboissière. Encore M. de la Riboissière doit-il plus sa pairie à son grade élevé dans l’état-major de la garde nationale qu’à sa qualité de député. Nous le répétons, il ne s’agissait pas de récompenser des services politiques, ni d’augmenter une majorité, mais d’émettre une déclaration de principes qui fût en même temps un fait. Le ministère ouvre ses bras aux hommes de la restauration, surtout à ceux qui s’étaient montrés ennemis de la charte de 1814 ; ceux-là, sans doute, feront bon marché de la charte de 1830. On connaît le mot d’une dame de la cour de Napoléon, lorsqu’elle apprit le retour des Bourbons : « Ah ! tant mieux, nous allons être des véritables comtesses. » Nos ministres parvenus sont ainsi faits ; ils ne se croiront vraiment ministres que le jour où ils verront dans leurs salons les centres de M. de Polignac et de M. de Villèle.

Aussi se dit-on avec orgueil qu’on refait la société, qu’on reconstitue la nation éparpillée et démoralisée par la chute du dernier pouvoir. Un ministre, qu’il n’est pas nécessaire de nommer, tant il sera facile de le reconnaître, disait il y a peu de jours : « Nous imitons en ce moment Napoléon, quand il vint au consulat. Nous rétablissons, comme fit Napoléon, la hiérarchie dans la société ; nous restaurons, comme lui, la religion, dont le pouvoir s’était séparé ; mais nous sommes dans une meilleure position que lui, parce que nous avons à notre tête des Bourbons et des princes véritables. Les souverains étrangers ne peuvent refuser notre alliance sous prétexte que nous sommes des parvenus, et pour nous entendre avec eux, il nous suffira d’écraser le parti révolutionnaire. Or, c’est ce que nous faisons et ce que nous ferons. » Ce langage vraiment curieux nous a été rapporté par un témoin auriculaire, tout-à-fait digne de foi.

Une réaction aussi nettement dessinée a son mérite en ce qu’elle sera vive et rapide. Il y a quelque temps, quelques bonnes âmes pouvaient encore se laisser tromper. M. Thiers étreignait, il est vrai, dans ses petits bras la révolution de juillet et le régime constitutionnel ; mais il feignait de les embrasser. M. Guizot parlait encore de son amour pour la liberté. Il semblait dater de 1829, et implorer l’oubli pour ses erreurs de 1815, pour ses projets de loi contre la presse et la liberté individuelle, pour sa justice de cours prévotales. On croyait encore à la probité politique de M. de Broglie, de cet homme de bien irrité, comme disait poliment M. Royer-Collard. Maintenant on se voit face à face ; et ces ministres, sortis de la presse de 1830 et des rangs du libéralisme de la restauration, dédaignent de continuer la comédie de quinze ans, qu’ils avaient jugé à propos de jouer encore durant ces cinq dernières années. Ceci vaut mieux. On saura plus tôt ce que veut la nation.

Demandez au ministère où est la nation, ce qu’elle veut ; M. Thiers vous dira que par un relevé des votes des conseils-généraux, fait récemment dans des bureaux de M. Gasparin, il appert que la France subit avec répugnance la liberté de la presse, la liberté individuelle, et toutes