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FRAGMENT D’UN LIVRE À PUBLIER.

combé comme tant d’autres, lui, fils de Spinosa, qui n’avait qu’à toucher la terre pour revivre, comme le fabuleux Antée.

Mais, pareille à la peste asiatique exhalée des vapeurs du Gange, l’affreuse désespérance marchait à grands pas sur la terre. Déjà Châteaubriand, prince de poésie, enveloppant l’horrible idole de son manteau de pèlerin, l’avait placée sur un autel de marbre, au milieu des parfums des encensoirs sacrés. Déjà, pleins d’une force désormais inutile, les enfans du siècle raidissaient leurs mains oisives et buvaient dans leur coupe stérile le breuvage empoisonné. Déjà tout s’abîmait, quand les chacals sortirent de terre. Une littérature cadavéreuse et infecte, qui n’avait que la forme, mais une forme hideuse, commença d’arroser d’un sang fétide tous les monstres de la nature.

Qui osera jamais raconter ce qui se passait alors dans les colléges ? Les hommes doutaient de tout : les jeunes gens nièrent tout. Les poètes chantaient le désespoir : les jeunes gens sortirent des écoles avec le front serein, le visage frais et vermeil, et le blasphème à la bouche. D’ailleurs le caractère français, qui de sa nature est gai et ouvert, prédominant toujours, les cerveaux se remplirent aisément des idées anglaises et allemandes ; mais les cœurs, trop légers pour lutter et pour souffrir, se flétrirent comme des fleurs fanées. Ainsi le principe de mort descendit froidement et sans secousse de la tête aux entrailles. Au lieu d’avoir l’enthousiasme du mal, nous n’eûmes que l’abnégation du bien ; au lieu du désespoir, l’insensibilité. Des enfans de quinze ans, assis nonchalamment sous des arbrisseaux en fleurs, tenaient par passe-temps des propos qui auraient fait frémir d’horreur les bosquets immobiles de Versailles. La communion du Christ, l’hostie, ce symbole éternel de l’amour céleste, servait à cacheter des lettres ; les enfans crachaient le pain de Dieu.

Heureux ceux qui échappèrent à ces temps ! heureux ceux qui passèrent sur les abîmes en regardant le ciel ! Il y en eut sans doute, et ceux-là nous plaindront.

Il est malheureusement vrai qu’il y a dans le blasphème une grande déperdition de force qui soulage le cœur trop plein. Lorsqu’un athée, tirant sa montre, donnait un quart d’heure à Dieu pour le foudroyer, il est certain que c’était un quart d’heure de