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LE PARLEMENT ANGLAIS.

lord Plunket, membre de l’administration, quoique hors du cabinet. Certes, l’Irlande, dont il est le chancelier, a plus d’un grief amer contre ce fils long-temps mauvais. L’ingrat ! il a pu trahir son pays natal, afin de se pourvoir lui et les siens ; il a mieux aimé sa fortune que sa renommée ; c’est de son honneur qu’il a payé les honneurs qu’il a revêtus ! Mais Cobbett et nos Irlandais fidèles ont assez rudement châtié l’ambitieux. L’Irlande est comme toutes les mères, elle rouvre ses bras aux enfans égarés qui lui reviennent.

Donc, amnistie entière au vieux légiste enrichi ; oubli de ses fautes, puisqu’il se ressouvient de son honorable jeunesse et se remet derechef au service de la cause sainte. Ce n’est pas un secours à dédaigner que celui d’une intelligence comme celle de Plunket ; l’âge n’a pas même obscurci la suprême clarté de cette raison puissante ; il n’y a pas de recoins cachés d’une question obscure que sa parole n’éclaire d’un jour complet et profond, et ce n’est pas seulement par sa science lumineuse qu’il est redoutable. Tout bonhomme podagre qu’il vous semble, forcé, quand il se lève pour parler, de se tenir d’une main sur sa canne, il a cette détermination agressive et robuste qui sait dire imperturbablement au torisme toutes ses vérités humiliantes et ne s’émeut nullement des interruptions emportées ; son ironie insulte et accable d’autant plus, qu’elle se cache toujours sous un air de simplicité bourgeoise.

À l’extrémité de ce banc qui touche celui des ministres, vous avez reconnu lord Brougham ; il est bien la caricature vivante dont les papeteries du Strand vous ont montré tant de divers portraits. Voilà bien son long visage, ses longues jambes, ses longs bras, tout l’assemblage incohérent de sa longue personne. L’expression de sa physionomie a quelque chose de farouche ; il y a certainement dans ce cerveau un petit grain de démence ; ses petits yeux perçans étincellent du fond de leurs orbites ; un tic convulsif ouvre et referme incessamment sa grande bouche ; vous auriez presque peur, n’était la bonhomie de ce nez épais, retroussé, qui vous rassure.

Ne vous inquiétez pas si le savant baron saute et s’agite si fort à ce moment, c’est qu’il est sur un gril ; c’est qu’on le torture, c’est qu’on parle, et qu’il est contraint de se taire. Parler, c’est faire tort à lord Brougham.

Mais le préopinant s’est assis, lord Brougham a bondi ; il est sur ses pieds ; il a rattrapé la parole ; il la tient, il ne la laissera pas aisément ; il a déclaré n’avoir que deux mots à dire ; si vous avez affaire, allez, dans deux heures vous pouvez revenir, vous le retrouverez en pleine