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replet, de toutes parts arrondi, sans trop d’épaisseur, au visage franc et ouvert, c’est le marquis de Lansdowne, le président du conseil. Vous savez qu’en Angleterre cette charge n’attribue au ministre qui en est revêtu, aucune prééminence sur ses collègues, il conduit seulement leurs délibérations, il est leur speaker ; leur chef véritable et souverain, c’est le premier lord de la trésorerie. Le marquis de Lansdowne figure à la chambre honorablement, et utilement dans le cabinet. Dans une discussion, il soutient d’ordinaire la seconde charge après lord Melbourne ; son expression est mâle et choisie, sa voix ferme et retentissante, mais son débit est lourd et monotone ; évidemment il a plus de mots que d’idées ; il dit les riens avec trop de solennité ; cette emphase générale et constante empêche l’effet de ses meilleurs mouvemens. Je voudrais qu’il s’accompagnât moins assiduement de ces bruyantes mesures que sa main frappe sur le bureau des greffiers. C’est là un moyen vulgaire qu’il faudrait laisser à lord Londonderry, qui siége en face, de l’autre côté de la table. Ce genre d’argument est du ressort du pugilat plutôt que de l’art oratoire. J’ai vu des débats où les deux nobles marquis, se répondant ainsi l’un à l’autre, avaient l’air d’essayer la force de leurs bras ou de battre l’enclume en cadence.

Au dire des vieux habitués du spectacle parlementaire, la contexture des discours de lord Lansdowne rappelle singulièrement la manière de M. Pitt. C’est de ce dernier que le président du conseil actuel aurait pris ce procédé, qui consiste à enfermer toute une argumentation dans une seule immense période, coupée de mille et mille incises ; mais l’habileté suprême de Pitt était de mener infailliblement ses auditeurs au but d’une harangue par le détour des routes de traverse. Le marquis de Lansdowne rendrait souvent un signalé service aux siens, s’il leur prêtait le fil secourable qui l’aide à sortir sain et sauf lui-même de son labyrinthe de parenthèses.

Cet autre personnage anguleux, déhanché, au long cou raide emboîté dans une cravate blanche, qui ne représenterait pas mal un de vos notaires de province, c’est lord Duncanon, le premier commissaire des bois et forêts et du sceau privé ; il se tient à la droite de lord Melbourne : c’est l’une des utilités du cabinet ; tout bègue qu’il est, il parle souvent et de bonne volonté ; c’est moins la pensée qui lui fait défaut, je crois, que le langage ; le sang-froid lui sert çà et là de saillie ; il donne parfois de petits soufflets secs fort bien appliqués, d’un air innocent et candide.

Les autres ministres-pairs ne sont guère que des invalides d’un médiocre usage, sinon dans le conseil, au moins au feu de la discussion.