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jour accuser en face cette civilisation orgueilleuse qui les suggère et les rend possibles.

Ôtez la foi religieuse, et le rationalisme démocratique reparaîtra tel qu’il fut aux beaux jours de la corruption grecque et romaine, avec ses déclamations et ses cupidités, ses bassesses et ses violences. Supposez, au contraire, l’idée religieuse puissante et générale, et vous pourrez admettre alors des applications toutes nouvelles d’un élément qui semble destiné à exercer sur l’Europe moderne une influence analogue à celle du principe organique qui, du xie au xve siècle, la jeta et la contint dans le moule de la hiérarchie féodale.

Dans l’Amérique du Nord, où la souveraineté populaire n’est pas seulement une doctrine métaphysique, mais un fait passé dans les moindres détails de la législation et des mœurs, le christianisme est un fait tout aussi universel, tout aussi impérieux, tout aussi en dehors de discussion et d’atteinte, même verbale. C’est pour cela que ce pays, étranger aux hautes investigations de la pensée, mais qui a hérité de ses ancêtres un sens droit et une ame profondément religieuse, a poussé tout naturellement et sans effort, à ses dernières conséquences pratiques, une doctrine dont aucune des républiques de l’antiquité n’eût essayé l’application sans périr, puisque, pour la tenter, il fallait renier en même temps les ancêtres et les dieux, attaquer l’église et l’état, alors indissolublement unis, se proclamer à la fois factieux et sacrilége. L’Amérique est devenue la plus démocratique des nations, parce qu’à tout prendre, et malgré des dissidences de sectes qui ne servent qu’à y exalter la foi religieuse, bien loin de l’affaiblir, elle est peut-être la nation la plus universellement chrétienne de l’univers.

On trouvera, je pense, dans ces considérations, dont l’utilité pratique a pu n’être pas d’abord comprise, la seule explication satisfaisante d’un fait qui se développe en ce moment sous nos yeux.

On ne saurait nier que, tandis que les intérêts et les idées se démocratisent de plus en plus, l’école qui prétend amener la France aux conséquences pratiques de la démocratie ne perde chaque jour en force et en influence, et que les républicains ne reculent, malgré le vent qui souffle de toutes parts les doctrines démocratiques.

Cela tient, si je ne me trompe, à ce que l’école qui, depuis 1830, s’est emparée du thème de la république, est anti-chrétienne par essence, c’est-à-dire anti-sociale ; cela vient de ce que le pays, tout démocratiques que soient ses penchans, toute voltairienne même que puisse être encore la masse de ses idées, comprend instinctivement que ce régime, appliqué sans le contrepoids des croyances religieuses,