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DE LA RÉACTION CONTRE LES IDÉES.

il doit être permis de relever la différence des temps et des institutions, eu égard au serment politique.

Avouons qu’une fois supprimée la discussion sur les principes et les idées de l’humanité, nous tombons dans un inextricable chaos. Voudriez-vous ravir à cette société la lumière et la parole ? tentative impuissante ! Cette société vous échapperait, elle respirerait malgré vous ; en dépit de vos prescriptions, elle trouverait des issues à sa pensée ; elle a besoin de lire, de juger et de raisonner ; elle userait de tous ses efforts pour sauver la liberté de ses journaux, de ses romans et de son théâtre.

Le journal, le roman et le théâtre sont l’aliment nécessaire de l’intelligence française. Le journal est la tribune nomade et partout présente des temps modernes ; la place publique et les rostres des anciens étaient immobiles ; le journal est un tribun toujours vivant, toujours nouveau, venant heurter tous les jours à la porte de chaque citoyen qui tantôt l’applaudit, tantôt le blâme, mais toujours le reçoit. Nous ne disons plus en France : Si le roi le savait ! mais nous disons : Le journal le saura et le dira. Et puis dans ces feuilles qui paraissent et meurent pour renaître, que de talent dépensé ! que de verve ! que de science populaire et profonde ! Le journaliste a pour maître Pascal, Junius et Voltaire ; toujours prêt, dispos et alerte, il est plus infatigable que l’orateur antique ; il parle, il écrit à toute heure, au milieu des fatigues du jour, des veilles ardentes de la nuit. Laissez donc courir sa plume ; elle est une des gloires de la France. Maintenez au talent sa liberté pour qu’il reste généreux et modéré : autrement vos persécutions lui enseigneraient l’art de dissimuler son fiel et sa colère avec une invincible perfidie.

Les fantaisies du législateur seraient impuissantes contre les véritables mœurs d’une nation. Le roman est devenu, comme le journal, une habitude de la société française, et comme le journal, il ne saurait vivre que de liberté. Vous représentez-vous Rousseau ou Goëthe gênés dans leur essor, contraints de tourner les difficultés et les périls contenus dans le texte d’une loi menaçante ? Nos auteurs seront-ils moins libres aujourd’hui que l’auteur de Werther, et des Affinités électives ? Après nous avoir ravi la faculté des théories et des utopies politiques, on nous retran-