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pour dire que c’est la presse qui fait tout le mal, et que tout ira bien dès qu’elle sera écrasée. Cet âge d’or commencera par la loi-Fieschi et l’énorme budget de 1835, deux belles conquêtes de la révolution de juillet !

Les chefs et les meneurs du ministère actuel, tout grands hommes d’état qu’ils sont, se disaient avec une orgueilleuse modestie les disciples de M. Royer-Collard et de M. de Talleyrand. M. Guizot et M. de Broglie avaient commencé leur carrière sous le manteau de philosophe de M. Royer-Collard. M. Thiers, admis sous la restauration chez M. de Talleyrand, invoquait sans cesse l’expérience et les vues de ce doyen du monde politique, et s’appuyait toujours de son autorité, lorsque la sienne n’était pas encore établie, même dans le petit cercle où elle domine. Voyez quel chemin ont fait tous ces enfans perdus de l’éclectisme et de la doctrine ! Cette semaine, M. Royer-Collard, après un long silence désapprobateur, s’est vu contraint de rompre ouvertement avec eux, et de flétrir de sa mâle indignation leurs actes et leur système. M. Royer-Collard qui les avait couvés sous son aile ; M. Royer-Collard qui se trouvait devancé par la révolution de juillet, et par tous ces écrivains devenus ministres ; M. Royer-Collard est forcé de venir défendre contre eux et cette charte qu’ils ont eux-mêmes proposée, et le jury que la restauration avait respecté comme une garantie que le pays ne laisserait pas toucher sans se lever tout entier contre un tel sacrilége. Jugez d’une chambre qui a pu entendre, sans se détourner de son but, les paroles de M. Royer-Collard : « Je me défie profondément d’un pouvoir, quel qu’il soit, qui se délie de la justice même ordinaire, à plus forte raison de la justice du pays. » La chambre des pairs fermera-t-elle l’oreille à ces paroles non moins belles et non moins justes de M. Royer-Collard : « La chambre des pairs n’est que trop affaiblie, elle n’a éprouvé que trop de revers. Mutilée dans ses membres, dépouillée de sa prérogative vitale, compromise tout-à-l’heure dans un procès qui lui était étranger, et auquel on l’a fatalement dévouée, elle a besoin qu’on ménage enfin sa dignité. Si loin déjà de son origine, elle est encore l’asile de toutes les illustrations de la France, de toutes nos gloires politiques, militaires, civiles ; elle renferme certainement beaucoup de vertus éprouvées ; et, cependant, si elle subit l’affront qu’on lui prépare, elle périra. Un tribunal permanent, juge de la presse, perpétuellement battu par les flots irrités des partis, s’abîmera bientôt dans l’impuissance ; alors la chambre des pairs, décriée, avilie, frappée de mort politique, ne pourra plus revivre que par l’élection : la chambre des pairs élective, voilà la dernière et inévitable conséquence de la loi.