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REVUE. — CHRONIQUE.

faibles ou violens, qui se trompent ou qu’on trompe, et qui se réveilleront trop tard, comme nous l’avons vu si souvent.

Nous disons, comme l’honorable M. Barrot : Quand un pouvoir attaque le jury et la presse, on sait ce qu’il veut. En quoi le système actuel diffère-t-il du système de M. de Polignac. Le sait-on bien ? En ce que M. de Polignac (comme M. de Villèle) s’occupait des intérêts matériels du pays, qu’il en prenait sa part, et qu’il tâchait de détourner l’attention des affaires publiques, en l’attirant vers des dégrèvemens d’impôts, des établissemens de canaux, des routes, des plans d’améliorations pour l’agriculture, en un mot, en offrant aux contribuables, en biens matériels, un dédommagement à ses yeux équivalent aux droits politiques qu’il cherchait à leur ravir. Ici ce serait trop. On n’a pas le temps, on n’a pas l’envie de s’occuper de ces vils et misérables détails. M. de Broglie, le président du conseil, est une sorte de philosophe musulman, qui se croise les bras en attendant ce que sa providence, la nécessité, lui dira de faire, et qui se résoudra, la nécessité aidant, à faire un second coup d’état au prochain moment critique. Mais c’est là tout. La religion politique de M. de Broglie s’arrête là, et les nécessités du peuple ne sauraient l’occuper. M. Guizot est un utopiste. Son grand moyen de gouvernement, c’est la terreur, il nous l’a dit. Le pouvoir, aux yeux de M. Guizot, doit être un ogre, un Poliphème, toujours le bras levé et menaçant. Le dénouement de ces terribles histoires de géans aveugles ou borgnes se fait d’ordinaire par un chétif Ulysse ou un petit Poucet ; mais M. Guizot ne regarde pas à ses pieds, il ne voit que le ciel où sont écrites les destinées de la doctrine. La terre l’inquiète peu, et bien cultivée, féconde ou non, il se croit bien sûr de la gouverner. Pour M. Thiers, il n’aime pas les affaires. Il le dit à qui veut l’écouter ; et toutes les compagnies de chemin de fer, tous les industriels qui ont eu des rapports avec lui, sont là pour l’attester. D’ailleurs, on voudrait améliorer le sort du pays, diminuer les impôts, élargir les voies commerciales, qu’on ne le pourrait pas. On s’appuie sur les banquiers, on a subi leur influence, on en a fait des personnages politiques sans lesquels on ne peut gouverner. On a juré de maintenir tous les monopoles qui sont représentés dans les centres ; on a créé une aristocratie de garde nationale qui a aussi des intérêts contraires aux intérêts généraux ; enfin, on ne peut rien pour la plus grande partie de cette classe moyenne qu’on prétend protéger. Quant aux classes inférieures, on ne leur doit que des spectacles gratis, et des coups de fusil quand elles s’avisent de remuer. Heureusement que les journaux subventionnés ont été créés