Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/622

Cette page a été validée par deux contributeurs.
614
REVUE DES DEUX MONDES.


L’an de la quatre-vingt-cinquième olympiade,
(C’était, vous le savez, le temps d’Alcibiade,
Celui de Périclès, et celui de Platon),
Certain vieillard vivait, vieillard assez maussade…
Mais vous le connaissez, et vous savez son nom.
C’était Aristophane, ennemi de Cléon.

Lisez-le, monsieur Thiers, c’est un rude génie ;
Il avait peu de grace, et de goût nullement.
On le voyait le soir, devant l’Académie,
Poser sa large main sur sa tempe blanchie,
À l’ombre du smilax et du peuplier blanc.
Le siècle qui l’a vu s’en est appelé grand.

Quand son regard perçant fixait la face humaine,
Pour fouiller la pensée il allait droit au cœur.
Mais il n’en montrait rien qu’un sourire moqueur,
Jusqu’au jour où lui-même, à la face d’Athène,
Tout barbouillé de lie, il montait sur la scène,
Attaquait un Archonte, et revenait vainqueur.

Il nommait par leur nom les choses et les hommes.
Ni le mal, ni le bien, par lui n’était voilé ;
Ses vers, au peuple même, au théâtre assemblé,
De dures vérités n’étaient point économes ;
Et s’il avait vécu dans le temps où nous sommes,
À propos de la loi, peut-être eût-il parlé.

« Étourdis habitans de la vieille Lutèce,
Dirait-il, qu’avez-vous, et quelle étrange ivresse
Vous fait dormir debout ? Faut-il prendre un bâton ?
Si vous êtes vivans, à quoi pensez-vous donc ?
Pendant que vous dormez, on bâillonne la presse,
Et la chambre en travail enfante une prison.