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de son soleil, et quand le bourgeoisisme eut fait de nous des cœurs secs, le rationalisme eut beau jeu à nous rendre esprits forts. Il n’en est pas ainsi des peuples qui se trouvent en contact continuel avec le monde extérieur : les habitans des déserts, des montagnes ou des côtes maritimes puisent toujours dans les grandes scènes qui se déroulent sous leurs yeux une religiosité vraie et profonde. Comment, en effet, résister à cette éloquence des choses matérielles qui saisit en même temps toute l’âme et tous les sens ? Le raisonneur le plus froid se serait uni de cœur à l’adoration de mes deux Arabes s’inclinant devant Allah, qui les éblouissait de sa gloire ; il aurait répété avec eux : Dieu est grand ! C’est que là, sous les traits ardens de l’astre qui le pénètre, au milieu de cette pluie de lumière dont il est inondé, quand il n’entend dans cet espace où le regard et la pensée se perdent, que le sable bruissant sous ses pas, l’athée lui-même est ébranlé dans ses systèmes, tout l’échafaudage de sa logique s’écroule, son cœur s’exalte, sa foi s’éveille, il devient prêtre ; il n’argumente plus, il sent ; il sent Dieu en lui et autour de lui, non plus seulement Dieu intelligence et pur esprit, mais aussi Dieu lumière et feu. Dieu immensité, Dieu terre et soleil, Dieu monde et vie universelle. Je compris alors, sous l’impression qui me dominait, pourquoi la ville que je venais de quitter, pourquoi Alexandrie, destinée surtout à l’industrie, était devenue aussi une ville de dogme et de culte. C’est qu’elle recueillait comme un réceptacle général les sensations produites par ce grandiose de la mer et des déserts dont elle est entourée. Et en effet c’est dans la cité que la piété formule ses croyances, que le dogme élaboré se traduit en symboles et en verbe ; mais c’est au sein des manifestations de la grandeur ou de la bonté divine que l’esthétique religieuse puise ses inspirations ; C’est dans la cité que s’élève l’autel, mais c’est au désert que le feu sacré s’allume.

Nous poursuivions notre marche à travers le silence, la lumière et l’étendue, quand tout à coup le mirage vint peupler la solitude. La Méditerranée m’avait déjà présenté ce phénomène, mais rien ne s’y produit de comparable à ce que j’eus alors devant les yeux. C’étaient des eaux scintillant au soleil et frémissant au vent, puis de vastes plaines, des peupliers balançant en cadence leurs têtes