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vous savez que je n’ai pas relevé les rideaux pour faire pénétrer les regards profanes des voisins dans vos retraites sacrées. Je n’ai pas cueilli les fleurs du préau. Je n’ai pas brisé les rameaux de la vigne qui tapisse les murs. J’ai lu le beau livre de Lavater avec précaution et sans en essuyer la vénérable poussière. Je n’ai dérangé aucun meuble. Je n’ai brisé aucune plante. J’ai marché sur la pointe du pied durant les nuits, pour ne point troubler la solennité de vos mystères. Ne me bannissez pas, ô dieux amis de l’homme pieux ! n’envoyez point les larves et les harpies me tourmenter dans mon sommeil, et si vous m’apparaissez, que ce soit sous la forme des ombres de mes pères, avec leurs paroles de conseil et d’encouragement sur les lèvres.

Il est remarquable qu’étant excessivement poltron, j’aime autant la vie d’anachorète. C’est que j’aime ma peur elle-même : elle me détache du monde réel, et les émotions qu’elle me procure me font sentir vivement combien je suis spiritualiste dans mes croyances et dans mes superstitions. La nuit, quand la lune se couche derrière les flèches d’architecture flamboyante de la cathédrale, il passe, dans les pampres qui couronnent le seuil, des brises soudaines qui ressemblent aux frissons convulsifs de la souffrance. Je songe alors aux âmes du purgatoire, et je prie Dieu d’abréger leurs maux et leur attente. D’autres fois, lorsque je suis assis sous le tympan fleuronné de cette jolie porte gothique encadrée de feuillage, qui me rappelle les amours de Faust et de Marguerite, il arrive tout à coup à côté de moi, sans que je l’aie entendu venir, un gros chat noir, qui miaule d’une voix lamentable en me présentant son dos hérissé d’où s’échappent des étincelles électriques, dès que j’y porte la main. C’est le chat du voisin qui vient par les toits et qui me rend le service gratuit de me délivrer des rats insolens. Eh bien ! malgré ses bons offices, ce matou a une figure diabolique ; ses yeux luisent dans la nuit comme des charbons ardens, et ses contorsions ont quelque chose d’infernal. Je n’oserais refuser de lui gratter l’oreille et de lui lisser le dos, car je craindrais qu’il ne prît tout d’un coup sa véritable forme et qu’il ne s’envolât par les airs avec un grand éclat de rire. Quand même il n’y a ni chat, ni brise dans le préau, il s’y fait des bruits étranges que j’ai été long-temps à m’expliquer. C’est un écrou-