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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

pyramidales avaient pris une richesse et un développement splendides. Quand j’eus atteint la partie pavée de mon petit domaine, j’eus soin de marcher sur les dalles disjointes sans écraser la verdure qui se faisait jour à travers les fentes ; j’arrivai ainsi à la porte, et là ce fut un autre embarras. Les longs rameaux de la vigne s’étaient entrelacés au-devant de l’entrée ; partout ils formaient des courtines de feuillage devant les fenêtres. Il fallut y porter une main impie, les entr’ouvrir, et les soulever comme des rideaux, pour me frayer le passage de ce seuil vénérable. Mais dès que je l’eus franchi, ces pampres retombèrent avec souplesse, et s’embrassèrent étroitement comme pour m’interdire de repasser l’enceinte sacrée. Je ne vous ai pas encore désobéi, ô flexibles et complaisans barreaux de ma chère prison ! Chaque nuit, je m’assieds sur la dernière marche de l’escalier, et je contemple la lune à travers vos guirlandes argentées. Chaque étoile du ciel s’encadre à son tour en passant devant le réseau diaphane que vous étendez entre elle et moi, et quelquefois le jour me surprend immobile et muet comme la pierre où je me suis assis.

Oui, Frantzie, je suis encore dans cette maison déserte, seul, absolument seul, n’ouvrant la porte extérieure que pour laisser passer un dîner cénobitique, et je ne me souviens pas d’avoir connu des jours plus doux et plus purs. C’est une grande consolation pour moi, je vous assure, de voir que mon ame n’a pas vieilli au point de perdre les jouissances de sa forte jeunesse. Si de vastes rêves de vertu, si d’ardentes aspirations vers le ciel ne remplissent plus mes heures de méditation, du moins j’ai encore de douces pensées et de religieuses espérances ; et puis, je ne suis plus dévoré, comme jadis, de l’impatience de vivre. À mesure que je penche vers le déclin de la vie, je savoure avec plus de piété et d’équité ce qu’elle a de généreux et de providentiel. Au versant de la colline, je m’arrête et je descends avec lenteur, promenant un regard d’amour et d’admiration sur les beautés du lieu que je vais quitter, et que je n’ai pas assez apprécié, quand j’en pouvais jouir avec plénitude au sommet de la montagne.

Vous qui n’y êtes pas encore arrivé, enfant, ne marchez pas trop vite. Ne franchissez pas légèrement ces cimes sublimes d’où l’on descend pour n’y plus remonter. Ah ! votre sort est plus beau