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vous savoir quel est son procédé épistolaire ? Tatius lui a emprunté des manuscrits dont il a grand besoin. Il s’agit de les redemander à Tatius par une lettre. Pour faire cette lettre, il en parcourt le plus qu’il peut de Cicéron ; il consulte toutes les tables ; il note les expressions vraiment cicéroniennes, les tournures, les tropes, les coupes de phrases ; puis il cherche à placer certaines fleurs épistolaires qu’il a rencontrées. Dans une nuit d’hiver, il fera une période, et comme sa lettre à Tatius ne pourra guère avoir moins de six périodes, Tatius peut garder encore les manuscrits pendant six jours et six nuits. Le cicéronien a des formules cicéroniennes pour saluer un ami, pour le féliciter de sa santé, pour le remercier d’un petit service, pour le complimenter de son mariage, ou le plaindre de son veuvage.

Il a fait un énorme lexique de tous les mots contenus dans Cicéron ; un autre de toutes les locutions ; un autre des quantités prosodiques des mots qui commencent et terminent chaque période ; un autre des tropes, figures, épiphonèmes ; un autre des pensées générales et des sentences ; un autre des plaisanteries délicates, et, comme dit Érasme, de toutes les délices de sa diction. Ces différens lexiques réunis sont quatre fois plus gros que tout Cicéron.

Il y avait des orateurs sacrés, prêtres et ministres de l’Évangile, engagés dans la secte des cicéroniens, et beaucoup plus fidèles à ses règles qu’à celles de leur ordre. Érasme étant à Rome, un de ces orateurs avait été chargé de faire le discours sur la mort de Jésus-Christ, le jour de Pâques. On pressa vivement Érasme de venir à ce discours. — Gardez-vous bien d’y manquer, lui dit-on ; vous allez entendre la langue vraiment romaine dans une bouche romaine. — Il y vint, et se mit le plus près qu’il put de la chaire, pour ne pas perdre un mot. Jules ii était présent. Il y avait grand concours de cardinaux, d’évêques, de prêtres et de peuple. Dans un exorde et une péroraison plus longue que ce discours, le cicéronien s’étendit sur l’éloge de Jules ii, qu’il qualifiait de Jupiter tonnant, lançant de sa main toute-puissante la foudre triangulaire, et remuant le monde du froncement de son sourcil. Pour faire valoir le sacrifice de Jésus mourant pour les hommes, il rappela les Decius, les Curtius, Cécrops, Régulus, et tous ceux à qui