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ÉRASME.

latinité plus diffuse ; l’esprit d’Érasme avait baissé. Quant à l’influence, peu d’ouvrages en eurent plus et une plus féconde que les Colloques. Cette influence, moins spéciale que celle de ses livres d’instruction et d’éducation, fut étendue à un plus grand nombre d’esprits et toucha à un plus grand nombre d’idées. Les Colloques développèrent l’esprit libre penseur qui fit tant de merveilles dans le xvie siècle. Marot en traduisit un qui n’est pas des moins piquans[1]. La Sorbonne les censura ; il s’en vendit un peu plus qu’auparavant.

Une seule fois Érasme fit de la polémique littéraire, et ce fut au plus fort de sa polémique religieuse. Dans cette querelle comme dans l’autre, il resta l’homme de la vérité, le défenseur de l’idée la plus juste et la plus féconde, idée dont la formule a pu changer, appliquée à d’autres littératures, mais dont le fond est éternellement vrai : c’est à savoir la liberté et l’originalité dans l’imitation des modèles.

C’était la thèse opposée à celle des cicéroniens, lesquels faisaient consister l’originalité à n’employer aucun mot, aucun tour qui ne se trouvât dans Cicéron. Érasme en trace un portrait plaisant. Le cicéronien a dans sa maison un cabinet, aux murs épais, aux fenêtres et portes doubles, dont toutes les fentes sont bouchées avec du plâtre et de la poix, pour qu’il n’y pénètre ni jour ni bruit. Pour être cicéronien, il faut être pur de tout vice, exempt de tout souci, et passer par une préparation particulière, comme pour être magicien et astrologue. Le cicéronien ne se marie pas, de peur que sa femme ne vienne troubler son sanctuaire ; il ne veut ni charge ni place, — il y avait des exceptions, — pour n’avoir pas à y donner de son temps, qui appartient tout entier à Cicéron. Il dîne avec dix grains de raisin sec et trois grains de coriandre confits dans du sucre. Voulez-

  1. C’est le colloque intitulé : Abbatis et Eruditœ. Voici le préambule de Marot.

    Qui le sçavoir d’Érasme vouldra veoir,
    Et de Marot la rythme ensemble avoir,
    Lise cestuy collocque tant bien faict
    Car c’est d’Érasme et de Marot le faict.