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tout le mois de mai 1525, des douleurs si vives, que les médecins, ne sachant plus comment le soulager, lui avaient conseillé de changer d’air. On l’amena donc sur un brancard à Bâle, la seule ville qu’il eût aimée, parce qu’il y avait trouvé la liberté et des amis. Il l’avait laissée, sept ans auparavant, inquiète, menacée de troubles ; il la revit calme, tranquille, rentrée dans des mœurs sérieuses, et tout son peuple dans la première ferveur d’une croyance nouvelle. Ses amis lui avaient préparé une chambre telle qu’on savait qu’il l’aimerait, petite et commode, sans poêle et au levant. Il se sentit d’abord soulagé ; ces déplacemens lui étaient bons ; et puis, on était alors au mois d’août, l’un des mois de l’année où il meurt le moins de monde, et où les mourans espèrent. « Ici, écrit-il, je me trouve un peu moins mal ; car, pour me trouver tout-à-fait bien, je n’en ai plus l’espoir, du moins dans cette vie. »

Pourtant il faisait encore des projets. Dans une lettre du 17 mai 1536, il prie un certain Bonvalot, trésorier, de tirer d’un mauvais procès Gilbert Cognat, autrefois son domestique, dont il aura grand besoin dans son voyage à Besançon, cet homme sachant parler français. Beatus Rhenanus, le biographe d’Érasme, lui suppose donc à tort l’intention d’aller dans le Brabant, où l’appelait Marie, reine de Hongrie. Le Brabant était trop près de Louvain et de ses théologiens. Érasme voulait finir son Ecclésiaste à Bâle, puis s’en aller à Besançon, où il avait depuis long-temps un commerce de lettres avec le sénat, et qui faisait partie des états de l’empereur. Bâle lui laissait quelque inquiétude ; il y avait de meilleurs amis, mais, en retour, plus d’ennemis qu’à Fribourg. D’ailleurs, la mort pouvait le surprendre dans une ville hérétique, et il ne voulait pas qu’on opposât sa mort à sa vie. Homme de milieu jusqu’à la fin, il avait fait choix d’une ville sans couleur prononcée, où le catholicisme romain, n’ayant pas d’ennemis sérieux, n’avait aucune des exagérations de la lutte. Dieu en décida autrement. Cette petite chambre que lui avaient préparée ses amis de Bâle devait être sa chambre funéraire. C’est la réforme, dont il avait combattu les emportemens pendant douze années, qui devait lui rendre les derniers devoirs, et se faire une arme contre les catholiques, soit du mystère de ses derniers soupirs, soit de sa tombe