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ÉRASME.

ment dans leurs maisons. La réaction s’arrêta là. Œcolampade usa de son crédit sur le peuple et le sénat pour conseiller des mesures de modération et prévenir des violences. Il ne fut fait injure à aucun citoyen ou étranger, ni dans sa personne, ni dans ses biens. Mais, tous les jours, des motions violentes étaient faites, et des nouveautés décrétées dans le sénat. Érasme eut peur ; il envoya demander secrètement au roi Ferdinand un ordre qui l’appelât vers ce prince et un permis de libre passage dans ses états et ceux de l’empereur. En même temps il fit partir devant lui, et par petits envois, afin de moins tenter les voleurs, son argent, ses anneaux, ses vases, et toutes les choses précieuses qu’il devait à la munificence de ses illustres amis. Peu après, il fit charger ouvertement deux chariots de ses livres et de ses bagages. Lui-même enfin allait se mettre en route, mais il fut pris la nuit d’un violent accès de pituite qui le retint à Bâle, fort inquiet des suites d’un départ préparé en cachette, et dont le sénat pouvait avec raison se tenir offensé. Le bruit s’en était répandu dans la ville, et déjà Œcolampade et ses amis en avaient exprimé leur dépit. Érasme fit prier Œcolampade de venir le voir. Celui-ci en usa généreusement ; il vint, et quoiqu’il fût théologien et victorieux, il permit à Érasme de n’être pas de son avis dans quelques points de l’entretien, qui roula sur la théologie. Il promit d’ailleurs à Érasme protection et sûreté au nom de la ville, et même il essaya, par mille raisons sincères, de le dissuader de partir. — « Mais, dit Érasme, tous mes bagages sont à Fribourg. — Eh bien ! partez, mais promettez-moi de revenir. — Je resterai quelques mois à Fribourg, pour aller ensuite où Dieu m’appellera. » Après un serrement de main, ils se séparèrent.

Sa pituite passée, Érasme fréta une barque et fixa le jour de son départ. Devait-il quitter Bâle furtivement ou au grand jour ? Le second parti était plus noble, le premier plus sûr. Il se décida pour le second, nous dit-il ; mais il eut des amis qui sans doute ne crurent pas lui déplaire en lui conseillant une sorte de moyen terme entre la fuite clandestine et le départ au grand jour. Il y avait sur le quai de Bâle deux ports d’où l’on s’embarquait à volonté pour descendre ou remonter le Rhin ; l’un, tout près du grand pont, à l’endroit le plus fréquenté de la ville ; l’autre en