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ÉRASME.

ben lui avait offert une maison et une pension. Érasme ne voulut ni de l’une ni de l’autre ; il aima mieux être l’ami que le salarié de Froben. Il fit acheter une maison où, sauf quelques voyages commencés que sa mauvaise santé le forçait d’interrompre, il vécut dans l’amitié de Froben et de sa famille, et au milieu de travaux qu’il appelait avec quelque raison herculéens. Froben acheta pour lui un jardin assez grand, avec un petit pavillon au milieu, dans lequel Érasme venait dans les beaux jours, non pour y rêver aux charmes des beaux jours, mais pour y traduire quelques pages de saint Bazile ou de saint Chrysostôme[1]. Le premier chagrin de cœur qu’il eut à Bâle, ce fut la mort inopinée de son ami. Il avait eu une douleur modérée de la perte de son frère[2], mais il fut accablé de la perte de Froben. Il l’aimait pour la douceur de leurs relations ; il l’aimait pour tout le bien qu’il avait fait aux études libérales ; il l’aimait pour son noble caractère, pour la pureté de ses mœurs, pour la sûreté de son commerce, pour son dévouement à ses amis. Il y aurait un beau portrait à faire de ce Froben. C’était un homme sans fiel et sans méfiance, aimant mieux être volé que de faire aux gens l’affront de les surveiller. Il ne pouvait se souvenir des injures les plus graves, ni oublier les moindres services. Doux, affable, facile au-delà même de ce qui convient à un chef de maison et à un père de famille, il n’aurait pas su se montrer poli pour ceux qu’il suspectait, ni cacher sous un langage confiant des arrière-pensées de défiance, et il eût tenté l’honnêteté chancelante de certaines personnes, par la facilité qu’on avait à le tromper. Érasme lui en faisait des reproches. Froben souriait, et donnait le lendemain dans les mêmes piéges. Une seule chose où il montrât de l’adresse et de l’esprit de combinaison, c’était dans l’art de faire accepter quelque présent à Érasme. Il n’était jamais plus gai que le jour où, soit par ruse, soit à force de prières, il avait obtenu que son ami se laissât faire cette douce violence. Toute la rhétorique d’Érasme échouait contre ses importunes délicatesses. Érasme envoyait-il acheter par ses domestiques quelque mor-

  1. 955. D. E.
  2. 1053. F. P.