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ment Marot, et pour Berquin, l’ami d’Érasme ; mais, à la récidive, il l’abandonnait au bras spirituel, avec cet égoïsme royal qui ne peut pas se tourmenter deux fois de la vie du même homme. Pour le Brabant, c’étaient toujours les théologiens, race furieuse, qui aurait fait lapider Érasme par la populace ; pour l’Allemagne, c’étaient les violens du parti de la réforme qui seraient venus briser ses vitres et déchirer ses livres, comme ils faisaient des bulles papales. D’ailleurs, c’étaient des offres de prince, offres dont se méfiait Érasme, parce qu’il y voyait, dans l’avenir, ou d’insupportables obligations de flatterie, ou l’abandon. Chez les archevêques, sa vanité d’astre de la Germanie eût souffert d’une commensalité au-dessous de sa renommée, et sans doute de complaisances intérieures dans le genre de celles de Gil Blas pour l’archevêque de Grenade. Une seule hospitalité l’aurait tenté : c’était celle que lui offrait le sénat de Besançon. Cette fois, la chose se faisait de pair à pair ; c’était le peuple offrant sa ville à un homme du peuple. Érasme ne trouvait pas le bienfait lourd, ni la reconnaissance désagréable, ni la rupture, si elle avait lieu, d’une grave conséquence ; outre l’attrait du voisinage de la Bourgogne, dont le vin calmait sa gravelle. Il résista pourtant. Il aimait Bâle ; il y était entouré de la considération publique ; il y payait l’hospitalité de la ville par le produit de ses travaux et par sa gloire ; il y avait des liens de cœur, entre autres un filleul, un fils en Dieu, comme disent les Anglais, l’un des enfans de Froben, qu’il avait appelé Érasmius, nom qu’il regrettait de n’avoir pas pris, lui-même dès l’enfance, comme étant plus conforme à l’étymologie grecque qu’Érasmus. Il faisait de petits traités d’éducation pour cet enfant, de grande espérance, dit-il. Il s’était attaché à Bâle comme l’huître et l’éponge au rocher, lui qui répondait jadis au reproche d’insouciance que lui faisaient les moines, qu’il n’était ni une huître ni une éponge, et que le reproche lui venait mal de gens « changeant tous les jours de pâtis, et émigrant là où ils voyaient la fumée de la cuisine plus grasse et le foyer plus luisant[1]. »

C’est dans l’année 1531 qu’Érasme vint s’établir à Bâle. Fro-

  1. 370. F.