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ses ailes fatiguées ; mais on connaissait et on étudiait les poètes, ces chantres ingénieux de la sagesse humaine, hommes ainsi que nous, si ce n’est qu’ils en savent un peu plus que nous sur nous-mêmes. Dans ce temps-là, les vieillards se faisaient enseigner, sur le bord de la tombe, la langue d’Homère et de Platon ; des professeurs en cheveux blancs, qui ne prenaient pas quatre jours de repos dans toute une année[1], avaient des élèves septuagénaires qui ne voulaient pas mourir sans avoir rajeuni leur intelligence par quelques souvenirs de la sagesse antique. Mais ces vieillards étaient rares à cette époque dévorante. On en comptait moins que de jeunes gens enlevés par des morts prématurées à des travaux où la force et la vie leur manquaient tout ensemble, et qui rendaient l’ame sur les belles pages où Platon leur promettait une vie immortelle. Érasme parle quelque part de ce petit nombre auquel il était donné d’atteindre à la vieillesse. « Faut-il l’attribuer, dit-il, à un monde qui penche vers son déclin, ou bien à ce qu’il en coûte plus d’efforts aujourd’hui pour savoir ? »

viii.
Le séjour à Bâle.

C’est à Bâle qu’Érasme trouva une solitude relative, la seule qui fût possible à son époque. Après de longues hésitations, il s’était fixé dans cette ville, d’où il inondait l’Allemagne et la France de ses écrits. Ce choix n’était pas le résultat d’un caprice ; Bâle était une ville intermédiaire, paisible, bien gouvernée, où les théologiens avaient de la modération, et où la lutte des choses anciennes et des choses nouvelles n’avait amené aucune violence. Érasme y vivait tranquille, respecté, dans la société intime de Jean Froben et de quelques amis. Appuyé sur la formidable imprimerie fondée par cet homme célèbre, il dominait tout le mouvement religieux et littéraire de l’Allemagne, et représentait assez bien la presse du temps dans sa plus grande fécondité et dans sa plus

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