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MATTEA.

comme une véritable sœur, et te garderai quelques jours, jusqu’à ce que la fureur de ta mère, qui est un peu trop dure, je le sais, soit passée. En attendant, couche-toi sur le lit de repos qui est dans mon cabinet, et je vais envoyer chez tes parens afin qu’en s’apercevant de ta fuite, ils ne soient pas en peine.

Le lendemain, M. Spada vint remercier la princesse de l’hospitalité qu’elle voulait bien donner à une malheureuse folle. Il parla assez sévèrement à sa fille. Néanmoins il examina, avec une anxiété qu’il s’efforçait vainement de cacher, la blessure qu’elle avait au front. Quand il eut reconnu que c’était peu de chose, il pria la princesse de l’écouter un instant en particulier, et quand il fut seul avec elle, il tira de sa poche la boîte de cristal de roche qu’Abul avait donnée à Mattea. — Voici, dit-il, un bijou et une drogue que cette pauvre infortunée a laissé tomber de son sein pendant que sa mère la frappait. Elle ne peut l’avoir reçue que du Turc ou de son serviteur. Votre excellence m’a parlé d’amulettes et de philtres ; ceci ne serait-il point quelque poison analogue propre à séduire et à perdre les filles ? — Par les clous de la sainte croix, s’écria Veneranda, cela doit être ! Mais quand elle eut ouvert la boîte et examiné les pastilles : — Il me semble, dit-elle, que c’est de la gomme de lentisque, que nous appelons mastic dans notre pays. En effet, c’est même de la première qualité, du véritable skynos. Néanmoins il faut essayer d’en tremper un grain dans de l’eau bénite, et nous verrons s’il résistera à l’épreuve.

L’expérience ayant été faite, à la grande gloire des pastilles, qui ne produisirent pas la plus petite détonation et ne répandirent aucune odeur de soufre, Veneranda rendit la boîte à M. Spada, qui se retira en la remerciant et en la suppliant d’emmener au plus vite sa fille loin de Venise.

Cette résolution lui coûtait beaucoup à prendre, car avec elle il perdait l’espoir de sa soie blanche, et il retrouvait la crainte d’avoir à payer ses deux mille doges. C’est ainsi que, suivant une vieille tradition, il appelait ses sequins, parce que leur effigie représente le doge de Venise à genoux devant Saint-Marc. Doze a Zinocchion est encore pour le peuple synonyme de sequins de la république. Cette monnaie, qui mériterait par son ancienneté de trouver place dans les musées et dans les cabinets, a encore cours à Venise, et