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La loi sur les cours d’assises a été adoptée hier par la chambre des députés. La main menaçante du pouvoir est désormais levée sur l’institution du jury. En Angleterre, rien n’est respecté comme le verdict d’un jury ; on le regarde comme le jugement du pays, et le magistrat qui viendrait le comparer en plein parlement à une loterie législative, expierait peut-être ses paroles à la tour de Londres. Les lois anglaises veulent l’unanimité du jury ; en France, on avait laissé plus de chances à la condamnation, huit voix contre cinq suffisaient pour valider un jugement par jury. Les doctrinaires ont pensé que ces jurés, choisis par le pouvoir sur des listes nombreuses, n’offraient pas encore assez de garanties. La simple majorité va maintenant suffire. Le vote public importune aussi le ministère, le vote sera secret. C’est ouvrir le sanctuaire du juge aux passions les plus honteuses ; mais qu’importe ? Sans doute c’est là ce qu’on veut.

Il faut rappeler au pouvoir, qui devrait le savoir, et qui semble l’oublier, que ce n’est pas la première épreuve à laquelle la presse est soumise, et dont elle est sortie triomphante. Les annales de la presse sont marquées par plus d’un épisode curieux. Un fait surtout mérite d’être noté, c’est qu’à l’exception de M. Guizot qui est encore au pouvoir, tous les hommes d’état qui ont attaqué la presse, ont vu misérablement finir leur existence politique. Ham parle assez haut.

Nous ne dirons rien de l’empire. La littérature de l’empire atteste suffisamment que la presse était esclave ; et les eunuques de ce temps-là, qui se ruent aujourd’hui contre la liberté de penser, n’ont au fond d’autre idée que celle de se venger de leur propre impuissance sur une époque surabondamment pourvue de la sève qui leur manquait.

La restauration commença, comme le régime actuel, par de beaux projets. À Saint-Ouen, il fut long-temps question de la liberté de la presse. Louis xviii en discuta les avantages et les inconvéniens avec une certaine intelligence ; et le vieux roi écrivit cette phrase de sa propre main : « La liberté de la presse sera établie, sauf les lois qui en réprimeront les excès. » Cet article avait été demandé par le sénat dans son projet de constitution. Lorsqu’il fut question de préparer la Charte, M. de Montesquiou, qui avait le portefeuille de l’intérieur, proposa la modification suivante, rédigée par son secrétaire-général : « Les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux lois qui doivent prévenir ou réprimer les abus de cette liberté. » C’était, on le voit, la censure établie, en dépit même de la pensée de Louis xviii. Dans les conférences qui s’engagèrent au sujet de la Charte, cet amendement donna lieu à de vives discussions. — Mais c’est la censure que vous rétablissez ! s’écriait M. Boissy-d’Anglas. M. de Sémonville combattit aussi cette rédaction. — Vous craignez la licence, disait-il ; mais, messieurs, en donnant la liberté aux journaux, vous changez la pique populaire en une plume, et le gouvernement gagne au change. — Enfin, la majorité de la commission décida que le mot prévenir serait effacé de la Charte, parce qu’il im-