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DOCTOR MARGARITUS.

Et qui doit, dans le sein de ta tige épuisée,
Marguerite, habiter, désormais comme un ver.
Or, comme j’invoquais pour la belle innocente
Les bénédictions de l’aurore naissante,
Le vieux Margaritus tout à coup m’aborda.
Je détournai les yeux. Il était ce jour-là
Vif comme le matin, gai comme l’alouette.
Mon enfant, me dit-il, c’est aujourd’hui ma fête,
Et je veux te donner, à cette occasion,
La fleur qu’il te plaira de choisir sans façon.
Vois comme sous tes yeux la terre en est couverte.
Veux-tu la reine bleue, ou la blanche, ou la verte,
Ou celle dont le sein de pourpre est tacheté ?
Parle-moi sans scrupule et sans timidité.
Dis-moi son nom, sa robe, ou bien son diadème,
Et j’irai dans le champ te la cueillir moi-même.
— Je te laisse, docteur, les reines de ce pré.
Qu’elles gardent la pourpre et le bandeau doré,
Et demeurent long-temps florissantes et belles :
Pour moi, je le souhaite ; et ne me sens pour elles
Aucun amour sincère, aucun profond désir ;
Et puisque tu veux bien me donner à choisir,
J’emporte cette fleur, qui, là, dans ta prairie,
Penche une tête, hélas ! si pâle et si flétrie.
Regarde, la rosée et la lumière en vain
Mouillent sa tempe aride et réchauffent son sein,
Et s’empressent autour ainsi que deux servantes ;
Elle s’en va mourir, et les fleurs que tu vantes
N’ont pour elles ni pleurs, ni soupirs, ni regrets.
Donne-moi cette fleur des prés et des forêts ;
Elle ne sera plus peut-être tout à l’heure.
Je la prends, n’est-ce pas ? Autant vaut qu’elle meure
Là haut, sur ma fenêtre, en me parlant tout bas,
Qu’ici, dans ton jardin, où chacun lui fait honte,
Où les reines ! hélas ! ne la comprennent pas,
Où le plus mince épi, la moindre herbe qui monte,
Se croit, le soir, en droit de lui demander compte…